XXVI.

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Du temps s'était écoulé depuis que Bill était à nouveau à Paris. Et le temps, Bill et Tom n'en n'avaient plus à perdre. Ils avaient déjà laissé tant de minutes, tant de secondes derrière eux, ils avaient déjà tant perdu leur temps, à l'époque, pour des choses futiles, idiotes. Ils passaient parfois plusieurs jours à régler des choses qui se traiteraient ailleurs en quelques minutes. Ils traversaient de temps à autres des mauvaises passes qui, bien qu'elles ne durent jamais longtemps, étaient toujours très difficilement supportables, pour l'un comme pour l'autre. Maintenant qu'il y repensait, Tom se dit que toutes ces disputes, toutes les mauvaises passes et tout le négatif qui s'était un jour installé dans leur relation pour ensuite repartir n'avaient fait que les aider à gaspiller ridiculement l'instant qui les séparait chacun du jour où ils s'éteindraient.

Tom regardait la ville s'étendre devant lui, en repensant au passé, à sa vie avant la guerre qu'il ne cessait de ressasser, cette vie durant laquelle Bill et lui étaient si liés, si soudés par un amour si indestructible qu'il en serait presque devenu irréel. Assis sur un banc, le regard du brun était perdu dans le vide, se promenait de toits en toits, d'un clocher à l'autre. Il recherchait un point de repère, une bouée de sauvetage, un carte, quelque chose qui lui servirait à retrouver son chemin. Il aurait bientôt 28 ans, et se sentait plus perdu encore qu'un enfant qu'on abandonne dans une fête foraine. Il se sentait étouffé, pris au piège entre d'un côté son amour pour Bill, et de l'autre sa vie, et tout ce qui n'allait pas à l'intérieur. À vrai dire, très peu de choses allaient. Il n'arrivait pas à recréer de contact plus concret avec le brun. Bien sûr, comparé aux premières semaines, aux premiers mois, il constatait une remarquable avancée. Et si au départ ils dormaient plus éloignés l'un de l'autre comme si l'un d'eux avait la peste, il leur arrivait à présent de plus en plus souvent de dormir l'un contre l'autre. Le premier soir, Tom n'avait pas dormi de la nuit, rien que pour pouvoir observer un peu plus longtemps ce visage angélique endormi contre son propre torse. Il avait tant rêvé de ce premier vrai contact, ce premier contact un peu plus intime, et une fois qu'il eut compris que Bill s'autorisait maintenant à lui ouvrir un peu plus son espace personnel, il s'était senti incroyablement heureux.

- Papa, tu viens jouer avec moi s'il-te-plaît ?

Solange s'était hissée sur le banc, se tortillant à cause de sa petite taille. Tom ne lui répondit pas tout de suite, sans doute trop perdu dans ses pensées pour remarquer qu'elle lui avait adressé la parole. La rouquine patienta sans rien dire, respectant presque religieusement le silence de son aîné. C'étaient dans ces moments que Tom remarquait que sa princesse avait grandi. Avant, elle aurait sautillé d'impatience et ne lui aurait laissé aucun répit. Et là, elle restait simplement assise à ses côtés, sa petite tête appuyée contre son bras. Elle regardait elle aussi l'immense Paris qui s'enfuyait devant eux. La petite rousse pensa alors qu'elle était devenue la plus puissante petite fille du monde, et que bientôt, elle commanderait la planète entière.

- Papa Tom ?" insista-t-elle tout de même, après être restée calme pendant bien cinq minutes.

- Tu sais ma puce, il fait humide, je vais avoir mal à ma jambe. J'ai déjà un peu mal. Ça t'ennuie si l'on reste là plutôt ?

- Mais y'a rien à faire ici. Moi veux sauter ! Jouer !

- Même si je te raconte une histoire ?" tenta le barbu, la regardant du coin de l'oeil.

Solange se tourna vers lui, une étincelle brillant dans ses yeux. L'étincelle qu'il aimerait tant rallumer chez Bill, pensa-t-il soudainement. Il secoua la tête nonchalament, empêchant son petit sourire de se fâner. Ça viendra avec le temps, avait-il également pensé. Il invita sa fille à venir sur ses cuisses, et encercla son petit corps fin de ses grands bras, ces bras immenses, témoins d'une guerre sans merci.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant