Texte 2

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Thème : Elles


Une moue se dessine sur son visage à l'entente des arguments d'un des garçons de leur groupe. Elle lève les yeux au ciel, un peu agacée, un peu exaspérée.

La vérité, c'est qu'elle est surtout lassée. Lassée d'entendre des propos aussi dénigrants, lassée de supporter des commentaires irréfléchis et absurdes, lassée d'être entourée de gens aussi ignorants.

Elle ferme les yeux pour canaliser sa rage.

Elle a envie de hurler.

Ses ongles grattent nerveusement ses cuisses. Son visage est tendu. Personne ne semble se rendre compte de son état. Au contraire : tout le monde écoute sagement Evan déblatérer connerie sur connerie. Un, deux, trois, quatre... Six âneries différentes. En deux minutes, il a eu le temps de dire six trucs inacceptables. Elle commence à en avoir marre.

Si d'ici deux autres minutes personne ne change de sujet ou ne prend la parole : elle se casse. Ce n'est pas vrai qu'elle va rester un instant de plus assise ici parmi tous ces hommes qui encouragent le militaire dans son délire et toutes ces femmes fort probablement tout aussi mal à l'aise qu'elle, mais trop conditionnées à se taire pour réagir.

Après tout, elle fait pareil. Elle serre les dents, les poings, elle sent son coeur se briser à chaque propos, à chaque hochement de tête de la part de ses amis qu'elle déteste tous à ce moment même, mais elle n'arrive pas à réagir.

Elle a peur pour sa réputation. Elle a peur d'exprimer ses opinions.

Elle qui, d'habitude, ne se gêne jamais pour dire les quatre vérités, se retrouve impuissante. Elle déteste ça.

La rage forme une boule au fond de sa gorge et elle a envie de pleurer. Elle a envie de pleurer parce qu'elle sait que les autres n'attendent que ça : qu'elle parle, qu'elle s'énerve et qu'elle crache sur Evan. Toutes les filles semblent la regarder avec espoir. Espoir qu'elle les protège de ces horreurs débitées. Ces horreurs qui, comme des poignards, les marquent à tout jamais. Elle le sent, elle le sait. Elle est censée être la leader, la Reine comme elle aime bien se surnommer elle-même sur un ton de blague. Mais, en ce moment même, assise autour de cette table en plein milieu du parc, elle se sent davantage comme une victime que comme le bourreau. Elle, une victime !

C'est tout aussi absurde que les histoires du frère des jumeaux. Pourtant, c'est bien ce qu'elle est : une victime. C'est bien que ce sont les femmes : des victimes.

Victimes de la société, victimes du patriarcat, victimes de leur impuissance et de leur faiblesse. Victimes de leur corps constamment valorisé pour être bien utilisé et rabaissé. Victimes de leurs souffrances, de leurs envies, de leurs désirs. Victimes de leurs fantasmes, de leur rêve de pouvoir et d'égalité. Une égalité ! Entre homme, femme, et puis quoi encore ? Une reconnaissance des droits des personnes transgenres ? Mais oui, mais oui ! Des futilités, oui !

Les femmes ne sont que des victimes. Des victimes parce qu'elles se taisent. Des victimes parce que, quand elles parlent et qu'on leur dit de se taire, elles perdent leur patience et leurs moyens. Des victimes parce qu'il n'y a que les femmes pour être victimes. Après tout, victime est au féminin, ce n'est probablement pas pour rien ! Les femmes, cette apologie de la détresse. Les femmes, elles ne servent qu'à être dans la cuisine, qu'à satisfaire les hommes, qu'à s'insulter entre elles. Les femmes, ces créatures divines présentes pour que les hommes, ces êtres intelligents, puissent admirer la beauté du monde à travers elles. Les femmes : le meilleur jouet. Le seul nécessaire. Sans elles, la vie serait si ennuyante. Qui allons-nous dénigrer ? Qui allons-nous manipuler ? Pas les hommes, voyons ! Les hommes sont intouchables. Les femmes, par contre, même quand elles ne veulent pas...

Chrono ChallengeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant