Texte 1

23 7 0
                                    


Thème : Charlotte de face


Jeudi, trois heures du matin, au centre du salon d'un appartement qui n'est pas le sien.

Il pleut. Enfin, il semble pleuvoir. C'est peut-être du verglas aussi. En tout cas, des gouttes quelconques résonnent sur la fenêtre du plafond et c'est agaçant. Agaçant n'est peut-être pas le bon mot. Plutôt... Chiant ? Non, ce n'est pas exactement ça. Ce n'est pas chiant. C'est tout simplement dérangeant ? Dans tous les cas, le sentiment qu'elle ressent, il n'est pas agréable. Au contraire. Elle a l'impression que quelqu'un a pris ses organes, les a tordus dans tous les sens, a essayé de leur apprendre à danser et à chanter, puis, voyant que, quoi qu'il fasse, cela ne mène à rien, a abandonné le tout pendu, souffrant, à la vue de tous. Voilà comment elle se sent. Seule, blessée, exposée après avoir été torturée à maintes reprises.

Puis c'est vrai quoi ! Comment peut-on faire ça à quelqu'un ? Lui infliger de telles horreurs ? En prétendant être une amie, en plus ! Mentir, d'accord, elle peut comprendre. Mais trahir ? La trahison, c'est quelque chose qu'elle a du mal à accepter. Elle n'est pas du genre à garder son calme face à une injustice. Enfin, injustice. N'est injustice que ce qu'elle vit et qu'elle considère ne pas mériter. La famine mondiale, la pauvreté, la guerre, tout ça, c'est rien à côté de l'humiliation qu'elle venait de subir. La honte qui venait de s'abattre sur elle.

Elle serre les poings. Elle fixe le ciel en maudissant la terre entière. En maudissant surtout la responsable de son état. Elle, la si forte, la si belle ! Elle, que personne ne peut atteindre, jamais. Elle, maintenant inconsolable, prête à mourir pour ne pas avoir à affronter le jugement des autres, pour ne pas avoir à entendre leurs commentaires, leurs questions. Comment ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? As-tu eu peur ? Tu sembles terrorisée ! Comme si elle, du haut de son mètre soixante-dix, pouvait être terrorisée ? Pouvait avoir peur ? Elle a peur. Elle a terriblement peur et la simple idée d'avoir peur l'effraie.

Une décharge électrique parcourt tout son corps. Il faut qu'elle agisse, qu'elle se révolte et qu'elle dise à tout le monde que ce n'est pas vrai, non, ça ne peut pas être vrai. Il faut qu'elle appelle tous les gens qu'elle connait, ses parents, les professeurs, la direction, même les concierges de son lycée, la police, le président, l'armée, tout le monde ! Elle doit avertir tout le monde ! Ça sera la fin, sinon. La fin du monde, la fin de tout. La fin de son monde, et tout son entourage doit l'aider à éviter cette fin-là. Tout son entourage doit la protéger.

Et si elle la retrouvait ? Et si elle se vengeait ? Non, la vengeance est un plat qui se mange froid. Elle doit attendre le bon moment. La seconde où la traitresse sera vulnérable, dans le pire des états, probablement en pleurs et en sang, si possible. Oui, oui, oui. L'idée de la voir si faible, dans le besoin, fait frémir la plus forte, la plus belle. Elle sent tout son corps se remplir d'extase. Elle sent... Elle sent ce plaisir que ressentent les policiers en arrêtant un terroriste. Ce plaisir que peut ressentir le président en gagnant les élections. Ce... Plaisir, là. Cette satisfaction. Voilà, c'est ça : satisfaction. C'est le mot parfait !

Elle sourit. Un sourire carnassier, plein de fierté et de cruauté. Elle est cruelle, oui. Elle déteste qu'on se mette sur son chemin. Elle déteste qu'on prenne possession de ses secrets et qu'on les dévoile à tous. Elle déteste se sentir démunie, faible, humiliée. Comme si quelqu'un avait pris possession de son corps sans son consentement. Comme si ce qu'avait fait la traitresse, ce n'était pas un simple viol de son intimité, mais de tout son être, de toute sa personne.

Elle a la nausée. Elle se lève et court dans ce qu'elle se souvient être la salle de bains et laisse la bile et tout le contenu de son estomac s'échapper d'entre ses lèvres et se jeter dans les toilettes. Elle tousse. Encore. Elle cherche un verre d'eau des yeux, mais ce n'est pas chez elle, y'a pas des verres qui trainent un peu partout. Elle soupire. Tousse encore. Elle sait qu'elle vomira encore pendant une dizaine de minutes. Quand son corps s'y met, il n'en finit plus. Elle soupire, dépose sa main sur son front. Elle espère juste qu'elle ne se réveillera pas. Devoir lui expliquer pourquoi elle se sent comme ça, ça serait l'horreur ! De toute façon, elle veut éviter que tout le monde soit au courant. Après tout, son but est justement d'empêcher la nouvelle de se propager. Que diraient ses amis ? Sa famille ? Le personnel de son école ? Les inconnus qu'elle risque de croiser et qui risquent de la reconnaître ? Ce truc, il devait rester secret. Il devait rester personnel. C'était son mystère à elle. Son péché.

Mais non. Non. À cause de la traitresse, tout le monde sera bientôt au courant. Dès que le soleil pointera le bout de son nez et que les habitants de sa ville se réveilleront, ils sauront. Ils verront. Elle ne sera plus l'éternelle forte et belle. Elle sera la risée, la ridicule, la pauvre fille.

Oh, encore du vomi.

Elle entend des bruits de pas dans le salon. Merde. Elle l'a réveillée. Elle ne voulait surtout pas la réveiller. Maintenant, elle va devoir affronter ses peurs, parler de ce qui la met dans cet état. Avouer ce qui est arrivé. Mais comment ? Comment admettre qu'elle a commis une erreur ? Qu'elle a même fait confiance à la traitresse ? Bon sang, la forte et belle ne peut pas dire ça ! Justement, elle est forte et belle à cause de son intelligence, de son flair, de sa capacité à voir la merde arriver avant même que la personne la fasse chier.

Elle se sent stupide. Terriblement conne. Une idiote de première, même ! Une putain d'idiote et une putain de conne. Voilà qui elle est. Elle n'est ni forte ni belle, elle est conne. Bon, ok, belle quand même. Elle peut être belle et conne. Mais à quoi ça sert d'être belle si elle se fait avoir en permanence ?

Bon, pas en permanence, juste une fois Mais une fois de trop. Elle ne se le pardonnera jamais. Point final.

– Charlotte ?

La voix de son hôte la tire hors de ses pensées. Elle a fini de vomir depuis quelques secondes, maintenant. Déjà qu'elle doit se confesser, si en plus elle avait à le faire avec une pause vomi à chaque trois mots...

– Oui, Ambre ?

La forte-conne et belle lève ses yeux vers sa meilleure amie avec un sourire triste.

– Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi t'es debout à cette heure ?

– Ambre... Je dois t'avouer un truc.

Ambre, encore endormie, la regarde de travers. Qui avoue avoir couché avec votre ex à quatre heures du matin ? Puis, merde, Ambre le sait, ça. Elle le sait depuis longtemps. Elle s'en fout. Si elle s'en foutait pas, Charlotte ne serait pas là. Un ex, c'est un ex, pas un petit ami. Qu'est-ce qu'elle s'en moque que Charlotte ait couché avec Castiel ou non ! C'est le dernier de ses soucis, vraiment. Est-ce que la brunette s'en fait pour ça ? Est-ce que c'est ça qui l'empêche de dormir depuis quelques heures déjà ? Ambre espère que non. Autrement, ça serait con.

– Peggy a...

– Charlotte, écoute, je sais pour Castiel et toi.

La brune fronce ses sourcils. Castiel et elle... ? Ah oui, la partie de jambes en l'air. Elle avait oublié.

– Non, non. Ce n'est pas ça. Peggy... Peggy a réussi à prendre une photo de moi.

– Ouais, et ? Je veux dire, on a plein de photos ensemble sur Insta, c'est pas la fin du monde !

– Non, Ambre. Elle a pris une photo de moi de face.

Le choc qu'affiche le visage d'Ambre est ce que Charlotte appréhende depuis trois heures du matin.

Sa vie est fichue.


Un texte de Nastia. Vous pouvez découvrir ici sa fiction AS sur Evan, Un pas à deux o/ http://www.amoursucre.com/forum/t84642%2C1-evan-un-pas-à-deux.htm

Chrono ChallengeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant