Thème : Sous le toit, dans le grenier
Au 257 de la rue Campbell vivait une vieille femme.
Le genre de personne à faire parler les voisins, les amis, les collègues, jusqu'à ce que la rumeur s'étende à toute la ville. Dans une ville comme Eagle Town, ce genre de ragot allait bon train, franchissant les avenues comme autant d'oiseaux en usant du bouche-à-oreille.
Très vite la vieille dame du 257 était devenue la sorcière de la ville. Seule, aigrie, l'air patibulaire et les vêtements noirs et rapiécés et jusqu'au chat noir, elle en avait tout l'attirail. Sa maison tombait en ruine, les planches de bois bruni et les briques noircies portaient les affres du temps de la même manière que ce temps avait creusé dans son visage un nombre incalculable de sillons. Les escaliers du perron craquaient, la boîte aux lettres était branlante et la girouette, tout comme le vieux portillon à l'entrée du jardin, couinaient sur leurs axes à chaque coup de vent.
L'endroit sentait le bois moisi et l'essence de pin, parfois l'encens ou même le brûlé. Personne ne savait ce qu'elle y faisait, dans sa maison, mais tous se doutaient que ce n'était pas très net.
Si les enfants y voyaient une terrifiante sorcière, les adultes la targuaient de folle du village, refusant de croire à ces bonhomies enfantines et ces racontars de bonne femme.
Les plus jeunes changeaient de trottoir en passant, les adultes y pressaient le pas et les adolescents, eux, y restaient par pur esprit de contradiction, pour montrer leur bravoure. C'était devenu un rite initiatique, frapper à la porte de la sorcière, faire le tour du jardin, jeter un œil à une fenêtre et ficher le camp avant qu'elle ne sorte. Autant de tours idiots qui, chez n'importe qui d'autre, auraient rendu fou n'importe qui dans le voisinage, mais qui ne dérangeaient étonnamment pas tant que c'était au 257.
Un jour la sorcière vint à mourir de son grand âge et personne, hormis quelques curieux, ne vint assister à ses funérailles.
La maison fut laissée à l'abandon, bientôt gagnée par la végétation, et la légende de la sorcière perdura suffisamment pour que personne n'y entre. Personne jusqu'à aujourd'hui.
Poussé par ses copains, Kentin était sur le point d'entrer dans la maison. Il venait de finir sa dernière année de collège et à la fin de l'été, il entrerait au lycée. Il était arrivé en ville l'été précédent avec sa famille et il avait longtemps entendu parler de cette histoire. S'il avait toujours dit ne pas croire à ces sornettes, il n'était pas franchement rassuré de se retrouver là, devant cette énorme porte de bois.
Derrière lui, restés en retrait près du portillon, les garçons de sa classe l'encourageaient à leur manière. Certains le traitaient de mauviette, d'autres le menaçaient, d'autres encore lui disaient d'être courageux.
Il devait faire ses preuves pour être accepté, pour être un « homme ». Fils de militaire, il n'avait rien du physique d'un soldat. Petit, chétif, binoclard... On disait de lui qu'il était fragile, qu'il ne valait pas grand-chose. Il était toujours le dernier à être choisi pour les équipes de sport au collège, et il n'avait pas beaucoup d'amis. Alors quand les gars lui avaient proposé de trainer avec eux durant l'été s'il passait le rite comme eux tous l'avaient fait étant plus jeunes, il avait accepté sans hésiter.
Il déglutit difficilement, la boule au ventre et posa la main sur la poignée.
-Allez Ken, vas-y ! On l'a tous fait !
-Et on était plus jeunes que ça en plus ! Fais pas ta chochotte !
Pressé par le groupe, il poussa sur la porte en abaissant la poignée. Lui qui espérait secrètement qu'elle soit verrouillée, se liquéfia sur place aussi sûrement qu'une crème glacée en plein soleil lorsqu'elle s'ouvrit en grinçant sur ses gonds.

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Chrono Challenge
ContoMalgré un titre qui peut prêter à confusion, il s'agit bien d'un recueil de nouvelles, pas d'un challenge, puisqu'elles ont été écrites au préalable et dans un cadre autre que celui de Wattpad. Ce livre répertorie les nouvelles écrites par les membr...