Thème : Appelle Faraize Papa
Pour être tout à fait honnêtes, personne ne savait vraiment ce que faisait Monsieur Faraize de ses journées. Enfin, si, ils savaient qu'il restait en salle des professeurs quand il n'avait pas cours, qu'il préparait ses fiches, les remarques pour le conseil de classe, qu'il discutait de ses élèves avec Madame Delaney ou, parfois, avec Monsieur Boris. Mais en dehors de l'école, on ne savait pas vraiment. Certains prétendaient avec un cynisme mordant bien identifiable qu'il n'avait sûrement pas d'autre vie que celle-ci. Mais globalement, pas grand monde n'en avait quelque chose à faire.
Après tout, que représentait la vie d'un professeur dans le coeur de ses élèves? Pas grand-chose, c'était une réalité qu'il fallait accepter. En fait, peu en étaient vraiment capables, de se considérer comme inférieurs à la vie bien remplie de leurs élèves. Mais Monsieur Faraize? Il était, selon l'opinion publique, un des rares professeurs de Sweet Amoris qui remplissait avec perfection cette définition.
Pourtant, cela ne signifiait pas qu'il n'avait aucune existence autre que celle de transmettre un savoir remontant à des âges immémoriaux.
Vendredi soir, il s'asseyait toujours, le dos calé contre son siège, alors que ses élèves étaient partis depuis presque dix minutes, à regarder dehors la lumière commencer à décliner. A observer la paix et le calme factice de la ville. Puis, il se levait, attrapait ses affaires, saluait ses collègues une dernière fois, avant de s'en aller on ne savait où.
Il rentrait chez lui, dans le silence le plus complet, des cris résonnant dans sa mémoire, des cris de joie qu'il n'avait plus entendus depuis déjà plusieurs années. Des cris qui hantaient ses souvenirs, comme les fantômes d'un passé déjà mort depuis longtemps. Les photos sur la commode, il n'y prêtait même plus attention. Des fois, quand même, il les regardait, la gorge serrée, avant de s'effondrer dans son lit comme pour endormir la douleur.
Les nattes brunes, les yeux bleus rieurs, la robe à fleurs et l'air espiègle. Les boucles châtains, les yeux gris, le T-Shirt d'un dessin animé connu, il y avait plusieurs années de ça, et l'air intelligent. Deux silhouettes qui se formaient inlassablement dans l'esprit d'Edmond Faraize. Il n'y avait pas que ces deux silhouettes. Celle, à la fois petite et élancée, d'une femme au sourire d'argent revenait à sa mémoire.
Mais il éprouvait plus de remords que de douleur quand il y pensait.
Cela faisait dix ans. Dix ans que Catherine et Arnaud avaient été kidnappés. A peine un an depuis qu'il avait divorcé d'avec Sabrina.
Maintenir son mariage jusqu'à neuf ans après la disparition de leurs enfants avait été une des choses les plus difficiles à faire pour lui. Dire que c'était de la torture aurait même été un doux euphémisme.
Alors il avait divorcé à l'amiable, avec coupé les ponts avec son ex selon leur souhait mutuel et avait demandé sa mutation. Et voilà où il en était. Seul, dans cet appartement bien trop grand pour un homme seul, bien trop vide pour sa surface, bien insuffisant pourtant pour contenir tant de solitude. C'était peut-être la pire année de sa vie.
Ses élèves avaient tous dix-sept ans. Catherine et Arnaud auraient eu seize ans cette année. Mais quand on l'appelait "Papa", maintenant, c'étaient les lapsus d'élèves embarrassés, et plus la voix enfantine et si chaleureuse de sa fille, ou encore celle presque ennuyée de son fils. Quand on l'appelait "chéri", ce n'était plus un sobriquet affectueux pour lui demander ce que lui et sa femme allaient manger ce soir. Non, c'était celui, bien ironique, que certains professeurs au ton acerbe lui servaient, sans même se soucier des conséquences de leurs mots sur un homme qui n'avait plus personne pour l'attendre chez lui.

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Chrono Challenge
NouvellesMalgré un titre qui peut prêter à confusion, il s'agit bien d'un recueil de nouvelles, pas d'un challenge, puisqu'elles ont été écrites au préalable et dans un cadre autre que celui de Wattpad. Ce livre répertorie les nouvelles écrites par les membr...