Tic-tac.
Toi qui vécus hier.
L'odeur du souffre emplit le petit cabinet déjà surchauffé, englobant et supprimant les effluves de parfums et d'encens, de cire fondue et d'huiles essentielles. L'allumette s'était éteinte juste après avoir été craquée, la flamme soufflée par la respiration hésitante de la jeune diseuse de bonne aventure.
Un gémissement plaintif s'échappa d'entre ses lèvres et elle s'empara d'une seconde paille de bois. Le craquement qui s'ensuivit la contraignit à retenir sa respiration, de peur de souffler une fois encore sur le pinceau lumineux. Le cône d'encens de pin s'embrasa presque instantanément et elle passa au suivant. L'encens de myrrhe fut plus récalcitrant mais elle ne se découragea pas, refusant de relâcher la fine tige incandescente, quitte à se brûler le bout des doigts.
Tic-tac.
Pin, myrrhe, camphre et santal.
Les quatre cônes, les quatre points cardinaux. La jeune novice tentait sans relâche de se rappeler l'enseignement qu'elle avait reçu. La panique grandissait en elle, la peur de l'échec, de ne pas être à la hauteur, de décevoir son mentor.
Les mains tremblantes, elle s'empara du grand cierge de cire blanche et le positionna au centre du cercle zodiacal qu'elle avait déposé sur la table ronde. Tout semblait être en ordre. Sa grand-mère aurait probablement été fière.
Tic-tac.
Je t'appelle d'esprit à esprit.
Elora soupira pour se détendre, prenant plusieurs longues inspirations pour gorger son organisme d'oxygène. Elle n'avait jamais pensé se destiner à cette carrière. Elle se voyait bien couturière, ou même danseuse. Mais elle n'avait jamais songé qu'elle serait celle que choisirait sa grand-mère pour reprendre le flambeau.
Diseuse de bonne aventure. Les dernières volontés de son aïeule étaient claires. Elle reprendrait le cabinet. Elle héritait de son ouvrage, de sa carriole et de son âne, de son fourbi de voyante et de ses fioles au contenu étrange, puisqu'elle avait hérité de son don.
Elle n'avait pourtant jamais fait preuve d'un quelconque lien avec l'univers dans lequel évoluait la vieille femme. Ni même du moindre intérêt pour la chose. Pourtant elle avait été éduquée de cette manière, bohémienne, toujours sur les chemins. Elle avait reçu cette éducation mystique, tout comme sa mère et ses sœurs. Et c'était à elle de reprendre cette lourde tâche. Celle de lire les cartes aux visiteurs, prédire l'avenir des voyageurs, contacter les esprits défunts des veuves.
Tic-tac.
Reviens de l'ombre ou de la lumière.
Irma. Madame Irma. C'était le nom que portaient toutes les femmes de sa famille qui s'étaient assises à sa place par le passé. Le nom qu'on lui imposait désormais, réduisant son identité à néant.
Elle ferma les paupières sur ses iris bruns, tentant de se calmer en vain. Elle passa en revue les tâches qui lui incombaient, terrifiée à l'idée d'oublier quoi que ce soit. Elle se devait de faire honneur à la profession, à ses ancêtres, à sa famille. A son nom.
Tic-tac.
Encens, bougies, pendule.
Le poids de sa bourse de cuir se rappela à elle, comme si le fait d'avoir oublié sa présence avait fait enfler son contenu, le rendant au rang de fardeau lourd à porter. Elle fouilla les plis de sa robe violine et sortit de la bourse un petit écrin de velours. Le pendule qui lui avait été confié durant son enfance, véritable travail d'orfèvre, lui brûla presque les doigts lorsqu'elle s'en saisit. Elle n'avait jamais pensé l'utiliser réellement un jour, le conservant comme un bijou de famille, un porte-bonheur.
Pourtant aujourd'hui elle aurait à s'en servir. La pierre d'Onyx taillée formait une goutte, pointe vers le bas, maintenue par une chaînette d'or. Elle n'avait jamais eu d'objet aussi précieux entre les mains que celui-ci. Il devait valoir une fortune et elle se prit à l'observer sous toutes les coutures, l'appréciant vraiment pour la première fois.
Tic-tac.
Fais-nous grâce de ta présence.
L'heure tournait. Elle devrait bientôt ouvrir ses portes, devenir véritablement la nouvelle Madame Irma de la foire. Elle serait contrainte et forcée d'utiliser des dons qu'elle n'avait pas pour satisfaire les demandes et les exigences de bourgeois qu'elle ne reverrait plus jamais.
Elle aurait préféré danser.
Tic-tac.
Fumée, lumière tamisée.
Elle replaça correctement son foulard, masquant ses cheveux bruns au mieux et se leva, avançant dans l'étroit cabinet en esquivant les artefacts magiques qu'avaient amassés les précédentes Irma. L'heure approchait. Plus que quelques minutes. Elle se rendit compte à quel point sa grand-mère lui manquait en l'instant. Combien elle aurait aimé être plus attentive à ses leçons. Combien elle aurait aimé l'avoir à ses côtés, encore un peu.
Elle aurait tout donné pour qu'elle l'accompagne, ne serait-ce que pour ce premier jour.
Soupirant une dernière fois, elle ouvrit la porte, faisant pénétrer la lueur du jour en même temps que l'air frais du matin, la forçant à fermer les yeux.
Tic-tac.
Et manifeste-toi ici.
Le grand cierge blanc s'éteignit sous le vent. Les autres chandelles s'embrasèrent.
Elora rouvrit les yeux et se retourna, balayant le cabinet de ses yeux verts.
Tout se passerait bien, pour elle comme pour les précédentes.
Elle était Irma.
Texte de TalunaWalker
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Chrono Challenge
Short StoryMalgré un titre qui peut prêter à confusion, il s'agit bien d'un recueil de nouvelles, pas d'un challenge, puisqu'elles ont été écrites au préalable et dans un cadre autre que celui de Wattpad. Ce livre répertorie les nouvelles écrites par les membr...