Texte 5

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Thème : Mystères du passé


L'écho s'use.


Il y a l'odeur, d'abord. Celle du bois humide, du pin en fait ; des meubles vétustes aux arabesques qui sont toujours les mêmes. Idiots, figés, pareils - comme s'ils étaient nés déjà vieux. Ou tristes, vernis mais tristes.
Foutrement désolés.
Semblables à cet homme et à la femme qui l'accompagne. Hauts perchés, les yeux secs ; un peu gênés. Et foutrement désolés. Ils sont dans l'entrée - c'est elle qui le soutient, et lui qui la pousse à rester. C'est ainsi : ils sont les deux dernières pièces d'un jeu qu'on ne pourra plus jamais soustraire à son armoire. Les deux dernières gammes d'un morceau crochu, désastreux - fracassé et franchement moyen.
L'homme et la femme n'aimaient pas ces lieux. Aujourd'hui, ils ne les aiment pas davantage ; mais ce qu'ils ressentent n'existe pas dans le langage. N'est pas soluble dans les mots. C'est un mystère que le présent ne peut ravir au passé.
L'homme soupire.
Autrefois, cet endroit lui semblait si grand, et les gens qui l'habitaient si loin, si droits sur leurs jambes si droites. Ici, c'était comme une prison. C'était comme les filets du philosophe*, la cage tellement si vaste qu'on n'en distinguait même pas les goëliers. Les enfants, c'est pas malin, c'est pas clairvoyant.
Et maintenant, il n'y a plus qu'une odeur et qu'un froid bizarre. Que les présences de passage et les mystères du passé. Que la sensation d'errer sans retour dans la vapeur d'un vide glacé. Au secours. Ce n'est pas un mot, c'est la pression d'une épaule contre sa jumelle. C'est idiot, mais c'est la détresse d'un vieil enfermé qui vient d'basculer dans le dernier et le pire des cachots.
Welcome, man.

Welcome parmi les souvenirs usés, étroits, les souvenirs cassés et tronqués.
D'un papa qui n'est plus. De ses mains sèches et trop grandes, trop vives et trop violentes. De cet adulte qu'on regarde à travers le kaléidoscope de la mémoire. Bariolé, fâché encore. Fâché toujours. Les avait-il bercés, aimés, les aurait-il consolés ? Ils sont là, maintenant, sur le pas d'une demeure qu'ils ont quittée, blessés. Qu'ils retrouvent, désolés. Ce frère et sa soeur qui s'étreignent dans l'odeur du pin, tous de noir vêtus. C'est eux, ceux qu'il a abandonnés, ce papa trop loin. Ceux dont il n'a plus voulu. Les secondes qui s'égrènent, c'est comme les années qui tiennent en suspension parmi la poussière et les particules solaires.
Et les enfants qui sont grands, maintenant. Et les enfants qui s'courent après - mais seulement derrière les paupières de ceux qui restent. Adieu.
C'est la maison du passé. C'est le poids des remords, de la rancoeur qu'on a du mal à légitimer encore. Des coups qu'on aurait jamais dû s'échanger.
Des actes manqués.
C'est Nathaniel, c'est Ambre - et c'est les années foutues en l'air.
Aimez-vous, putain. L'écho s'use mais pas l'amour.


Texte qui nous est donné à lire par JeanLassalle ~

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