Rose avait la peau blanche et les yeux violines. Depuis toujours considérée comme une paria, inférieure à ses pairs. Peut-être même adoptée. Ses parents étaient morts lorsqu'elle n'était qu'une petite fille et elle ne pouvait que croire les dires de ceux qui l'avaient recueillie. Ou s'imaginer l'inverse. Elle ne savait même pas à quoi ils ressemblaient.
Elle se prenait souvent à rêver une vie meilleure, plus simple, ou plus phénoménale pourquoi pas. Tout plutôt que la vie qu'elle menait. Sa réalité n'était que misère, jugements et corvées. Condamnée à servir ses semblables comme l'esclave qu'elle était devenue. Elle aurait tout donné pour changer la donne.
Nomade, toujours sur les chemins, suivant son peuple comme le chien suit son maître. Pauvresse, vêtue d'une toilette sale et rapiécée, allant les pieds nus à la manière des mendiants. Solitaire, n'ayant pour compagnie que le vieux cheval de trait à la robe pâle dont plus personne n'avait voulu.
Son quotidien se résumait à suivre et obéir. Jamais protester, jamais se rebeller.
Elle aidait de son mieux à l'installation du camp mais manquait cruellement de force physique. Elle n'avait pas non plus le moindre talent, le moindre don, ne participait jamais aux représentations données les soirs par les membres de son clan. Elle ne rapportait pas d'argent. N'était qu'une curiosité pour les badauds, avec son teint laiteux, ses cheveux blancs et ses iris d'améthyste. Elle attirait le regard, mais jamais la convoitise. Qui diable pourrait s'intéresser à une pauvre môme blafarde, sans aptitudes aucunes, incompétente et maladroite au possible. Chaque fois qu'elle essayait, qu'elle voulait bien faire, elle échouait lamentablement. Lorsqu'elle avait voulu aider au montage des tentes, le tout s'était effondré durant le spectacle du soir, faisant fuir les visiteurs. Lorsqu'elle avait tenté d'allumer les torchères, elle avait mis le feu à la paille du socle, et lorsqu'elle se démenait à puiser l'eau à la rivière ou au puit, elle renversait les seaux.
Elle aurait tout donné pour changer. Pour briller. Attirer sur elle les regards bienveillants, la sollicitude et l'humanité dont savaient faire preuve les siens. Elle espérait leurs faveurs, leur tolérance, leur pardon peut-être.
L'ignorance. Elle baignait dedans depuis l'enfance, ignorant ce qu'elle avait bien pu faire pour mériter tant de mépris à son égard. Personne n'avait cru bon de l'informer, de lui expliquer. Alors pourquoi la gardaient-ils auprès d'eux ? Elle n'était qu'une bonne à rien, tout juste utile à partir en forêt ramasser quelques brindilles pour les ajouter au feu.
Chaque soir elle priait les divinités des cieux, des astres et de la terre. Elle priait pour qu'on lui donne la chance de briller. La chance d'être aimée, appréciée, tolérée. La chance d'être quelqu'un. Autre chose que la blafarde, que la pauvresse.
Elle rêvait d'être autre chose que Rose. Quelqu'un d'autre.
-Va donc chercher du bois au lieu de rêvasser. Le feu ne va pas s'allumer seul.
La rêveuse. Voilà de quoi on la traitait souvent. Perdue dans ses songes, un peu aliénée, un peu bête aussi, toujours à rêvasser.
Elle hocha la tête, n'ouvrant que rarement la bouche, et se rendit jusqu'à l'orée du bois. Le soleil tombait déjà vers l'horizon, emportant avec lui la chaleur du jour et sa lumière.
La forêt à côté de laquelle ils s'étaient installés n'avait plus rien d'accueillant. Les ombres s'étiraient aux pieds des arbres, rendant les branches semblables à des piques tranchantes. Le paysage était presque macabre, teinté d'orange et de couleurs plus sombres. De quoi terrifier le plus valeureux des chevaliers.
Pourtant elle n'avait pas peur. Elle n'avait jamais eu peur d'entrer dans la forêt, de s'y égarer. Elle aimait s'y rendre, y passer plus de temps que nécessaire à sa tâche. Elle s'y sentait à l'aise.
Elle passa un long moment à errer là, passant de bosquets en clairières, esquivant les branches basses et sautant par-dessus les racines tortueuses. Alors qu'elle allait rebrousser chemin, un arbre creux attira son attention. La végétation semblait s'en être écartée, laissant comme un passage pour le rejoindre. Comme le chemin vers un autre monde.
Là où n'importe qui se serait éloigné, Rose s'en approcha. Ses pieds lacérés par la roche qui sortait de terre comme les pics d'une montagne enfouie ne l'empêchèrent pas d'avancer, subjuguée, vers ce tronc immense. La chaleur qui en émanait ne la fit pas reculer. Pas plus que la lueur qu'elle percevait au fond du creux. Elle disparut à l'instant où elle mit un pied à l'intérieur.
Au camp on attendit longtemps le bois et la petite blafarde.
Ce fut le feu qui vint à eux.
Le feu qui naissait de chaque pas de la créature qui s'avançait vers eux.
Evanescente. Comme éphémère. Elle n'était qu'un souffle pâle et pourtant si lumineux, brillante, envoûtante.
Elle avança jusqu'au bûcher central, y déposant ses flammes en levant délicatement la main.
Puis se libéra de toute lumière, s'évanouissant en ne laissant derrière elle que le corps frêle et pâle de la pauvresse.
Ses yeux d'améthyste ne virent plus jamais.
Mais elle brillait désormais aux yeux de ses pairs.
Evanescente. Faite de lumière et née d'un brasier, au cœur d'un incendie.
Texte de TalunaWalker o/

VOUS LISEZ
Chrono Challenge
Cerita PendekMalgré un titre qui peut prêter à confusion, il s'agit bien d'un recueil de nouvelles, pas d'un challenge, puisqu'elles ont été écrites au préalable et dans un cadre autre que celui de Wattpad. Ce livre répertorie les nouvelles écrites par les membr...