L'arrêt soudain du véhicule me ramena au présent. Je jetai un coup d'œil à l'extérieur et vis qu'on était garés devant une petite maison principalement entourée d'arbres. Je me retournai dans mon siège pour contempler le voisinage.
— Ils habitent ici ?
— Oui, Crowdis Street, répondit Julian. Ils ont déménagé quelques semaines après les faits. Pourquoi ?
— Crowdis Street, dis-tu, murmurai-je en dressant rapidement une carte de la ville dans ma tête. La rue ne donne pas directement sur le Salem High School ?
— Exact, affirma-t-il. Johnny a fréquenté ce lycée et son petit frère a souhaité y aller aussi.
Je fronçai les sourcils et examinai attentivement la maison. Julian n'avait peut-être pas tort au final.
— Quoi ? demanda Julian quand il remarqua mon expression.
Je détachai ma ceinture, saisis la poignée et descendis de la voiture sans lui répondre. Julian me suivit rapidement et m'emboîta le pas.
— Qu'est-ce qu'il y a ? insista-t-il.
— La glaise que l'on a retrouvée sur les différents sites vient des falaises d'Aquinnah, répondis-je tout en me dirigeant vers la maison des Peater. Cette même glaise a été déplacée dans trois villes différentes, dont Salem.
— D'accord...
Il sembla chercher où je voulais en venir.
— Elle a été transférée à Salem Woods, l'un des plus grands parcs de la ville, et qui s'avère se trouver juste derrière Salem High School.
Je gravis les marches en bois du porche et frappai à la porte. J'eus juste le temps d'entendre un juron derrière moi avant que la porte s'ouvre. J'allais me présenter quand je sentis Julian me tapoter le dos. Je saisis le message et m'écartai pour le laisser parler en premier.
— Bonjour, Alison, dit mon collègue.
La femme tenant la porte des deux mains ne répondit pas tout de suite, mais cinq secondes plus tard, une lueur illumina son regard noisette.
— Bonjour, Julian. Ça faisait longtemps.
Je haussai les sourcils. Il ne m'avait pas dit qu'il avait parlé à la famille. Petit cachotier.
— Désolé de vous déranger, nous passions dans le coin donc nous avons pensé nous arrêter pour voir comment vous alliez, expliqua-t-il.
À la mention du « nous », Alison Peater sembla s'apercevoir de ma présence. La femme que j'avais vue après les événements ayant eu lieu quelques mois plus tôt ne ressemblait plus trop à celle qui se tenait devant moi. Ses yeux noisette étaient vides de toute émotion. Des rides marquaient le contour de ses yeux et de sa bouche. Ses cheveux châtain foncé n'étaient qu'une masse emmêlée sur le sommet de son crâne. Son ton pâle m'inquiétait légèrement. C'était comme si elle s'était terrée pendant des mois dans cette maison et n'était pas sortie une seule fois. La voir ainsi me serrait le cœur.
— Bonjour, Madame Peater, je suis Alicia Parker, une collègue de Julian, me présentai-je.
Elle hocha la tête, puis ouvrit davantage la porte, nous invitant visiblement à entrer.
Lorsque nous pénétrâmes dans la maison, je fus surprise de constater la propreté des lieux. Tout était rangé, dépoussiéré. Je ressentais presque le besoin de retirer mes chaussures pour ne pas salir le sol ou les meubles.
— Vous voulez boire quelque chose ? nous demanda Alison Peater.
— Non merci, nous ne comptons pas rester trop longtemps, lui dis-je en m'appuyant gentiment contre le mur.
— Nous voulions juste voir comment vous alliez, précisa Julian en secouant la tête quand elle lui proposa de s'asseoir.
— Nous remontons doucement la pente, répondit Madame Peater. Certains jours sont plus durs que d'autres. Je sais que ce n'est pas entièrement de votre faute, Mikhal devait être arrêté même si je dois avouer que j'aurais préféré qu'il se rende au lieu de choisir de défier l'Agence.
Malgré ses propos, il n'en restait pas moins que cette mission avait un goût d'échec pour nous. En tout cas, c'était ainsi que je le percevais.
La porte d'entrée claqua, attirant notre attention. Un jeune homme apparut sur le seuil et je fus frappée par son visage. Il avait le teint pâle, presque translucide. Des cernes sombres soulignaient ses yeux marron et ses cheveux noirs faisaient encore plus ressortir sa pâleur. Ses lèvres pincées s'étirèrent en un faible sourire lorsqu'il aperçut sa mère, puis il disparut quand il vit Julian près d'Alison. Soudain, il se referma totalement, ne faisant pas le moindre geste. Quand je me décalai légèrement, il tourna la tête dans ma direction et il pâlit, ce qui était un exploit vu son teint déjà blafard. Ses yeux arborèrent brusquement une lueur de panique, puis il redevint impassible. Le tout avait duré à peine quelques secondes. J'échangeai un regard avec Julian et son coup d'œil m'apprit qu'il avait vu la même chose.
— Je serai dans ma chambre, maman, dit-il d'une voix étrange tout en se détournant vers l'escalier.
Il n'attendit pas la réponse de sa mère et se précipita vers l'étage. Quelques secondes plus tard, une porte claqua au-dessus de nos têtes.
— Excusez l'attitude de mon fils, nous dit Alison. Depuis la mort de son père, il n'est plus lui-même.
— C'est compréhensible, la rassura Julian. J'imagine qu'il était proche de son père.
— Beaucoup, répondit-elle. Ils passaient beaucoup de temps ensemble. C'est Mikhal qui lui a appris à contrôler ses pouvoirs. Johnny a toujours vu son père comme un héros. Ce qui s'est passé l'a presque détruit.
Elle leva les yeux vers le plafond, puis les ferma avant de reporter son attention vers nous.
— Nous essayons de tourner la page, conclut-elle.
— Nous savons que ça peut paraître étonnant, voire inconcevable, mais si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous pouvez nous joindre, dit Julian.
Alison hocha lentement la tête. Il fallait vraiment que je parle à mon collègue de ses petites cachotteries.
— Nous n'allons pas vous importuner plus longtemps, annonçai-je.
Elle me sourit, comprenant sûrement que je ne voulais pas trop m'attarder. En toute franchise, j'étais vraiment gênée de toute cette situation. Son mari était mort à cause de l'Agence, même si c'était courant de voir des criminels ou des personnes ayant commis des actes répréhensibles se faire tuer lors d'arrestations. En fait, j'avais l'impression d'avoir une barrière dressée entre nous. Je ne savais pas si c'était pour me protéger d'une certaine façon ou si c'était pour me distancer de tout élément ou toute personne qui pourrait me mettre mal à l'aise. Voilà pourquoi il m'était difficile d'être comme Julian, à garder le contact avec les victimes. Encore plus des victimes qui l'étaient devenues à cause de nous.
— Je t'attends dehors, indiquai-je à Julian.
Cela lui permettrait de dire correctement au revoir à Alison. Je descendis les marches et remontai l'allée jusqu'à la voiture. Je fus prise d'une drôle de sensation et regardai autour de moi afin de découvrir la source de mon malaise. Quand mes yeux tombèrent sur une fenêtre à l'étage, j'entrevis un visage à moitié caché par les rideaux. Il ne me fallut pas longtemps pour me rendre compte qu'il s'agissait de la chambre de Johnny et que ce dernier était en train de m'observer. Je n'arrivais pas trop à discerner son expression, mais le fait qu'il m'observait ainsi me troublait grandement. Une alarme se déclencha au fond de mon esprit, néanmoins je n'arrivais pas à en saisir la raison. Je n'avais jamais vu ce gosse de ma vie.
Julian sortit de la maison, puis referma la porte derrière. Je levai de nouveau les yeux, mais je ne vis plus rien. Le gamin avait disparu.
— Ça va ? me demanda Julian alors qu'il s'arrêtait à ma hauteur.
— Je ne sais pas, répondis-je.
Je me rendis compte que je me frottais les bras et vis que j'avais la chair de poule. Décidément, quelque chose n'allait vraiment pas avec moi. J'observai une dernière fois la maison avant de me tourner vers mon collègue.
— Je crois qu'il faut qu'on se penche davantage sur cette famille.
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Alicia Parker, tome 1 (Sous contrat d'édition)
FantasíaAlicia Parker est enquêtrice pour l'Agence, une organisation qui règle tout conflit magique de n'importe quelle nature. Elle a donc l'habitude de côtoyer de nombreuses créatures surnaturelles. Mais quand elle devient la cible d'un de ces monstres, e...