Ça n'avait pas loupé. Lors de ma tournée des suspects, j'avais eu le droit à de vives répliques, plus ou moins gentilles selon les personnes interrogées, ma préférée étant de retourner en Enfer pour voir si Satan n'avait pas envie de faire de la corde à sauter avec mes entrailles et de se curer le nez avec mes os. Les démons avaient vraiment une imagination débordante.
J'avais écarté cinq suspects, mais il m'en restait encore un tas, dont le fameux Conrad Lardin. Harvey m'avait envoyé la liste des témoins dans l'après-midi comme il l'avait promis, et après avoir rendu visite à six des quinze personnes citées (heureusement qu'elles se trouvaient toutes dans le même quartier), j'avais pu aussi l'écarter.
Avant de me rendre à Nuit d'Enfer, j'étais repassée par mon appartement pour me débarrasser d'une journée de marche dans toute l'agglomération de Boston en prenant une douche bien chaude et en changeant de vêtements pour enfiler une tenue plus décontractée composée d'un t-shirt gris foncé ample à l'effigie des Red Sox, d'un jean et de chaussures bien confortables. J'avais dû me traîner hors de la douche et me forcer à ne pas penser au lit qui m'attendait dans la pièce d'à côté.
Je pris la ligne verte du T pour m'arrêter à la station Copley, puis je descendis Dartmouth St en passant la grande bibliothèque publique de Boston. Le bar se trouvait sur cette grande rue animée, entre deux restaurants, mais sa devanture ne laissait rien présager quant à l'intérieur de la bâtisse et aux clients le fréquentant. Le devant de Nuit d'Enfer était un simple mur en crépi avec deux grandes vitres sombres. Aucun signe démontrant que cet endroit était côtoyé par toutes sortes de créatures surnaturelles, de jour comme de nuit. Seule une marque sur la porte se démarquait et prouvait le côté spécial de ce bar. Une empreinte de patte de loup-garou avec un S majuscule en son centre. Un S pour superno, ou surnaturel en latin. Une zone neutre où vous étiez assuré de boire un verre sans avoir peur de découvrir une personne qui vous détestait ou un ennemi dans votre dos pour vous tuer. Barry, le patron et propriétaire du bar, n'avait pas hésité à flanquer dehors des clients qui avaient tenté de jouer les gros bras et d'imposer la loi. Il avait alors gagné une sacrée réputation parmi les surnat' et ces derniers avaient maintenant le plus grand respect pour lui. Personne ne s'amusait à mettre en rogne Barry. Les non-humains s'étaient tous mis d'accord sur le fait que Nuit d'Enfer devait rester comme tel, un endroit où tous pouvaient savourer une bonne bière (ou une bonne chope de sang) et nouer des liens assez inattendus. Ici, plus personne n'était ennemi. C'était comme si la porte de ce bar était dotée d'un sort qui nous obligeait à délaisser cette animosité qui nous habitait.
Je poussai la porte et franchis le seuil. Ce qui attirait tout de suite notre regard était les piliers longs et épais dispatchés un peu partout pour soutenir le plafond orné de poutres en bois perpendiculaires à l'entrée et espacés les uns des autres tous les deux mètres. Tous les murs étaient composés de briques grises. Sur la droite s'étendait un long bar en forme de L derrière lequel se trouvait Barry, qui était en train de préparer un cocktail à l'aspect étrange, et Shirley, l'autre barmaid, rangeant les bouteilles sur les étagères du grand meuble plaqué contre le mur. Bien que l'après-midi touchât à peine à sa fin, l'endroit grouillait de clients, certains assis à des petites tables, seul ou en groupes, d'autres au bar.
Un léger frisson me parcourut. Je m'approchai du comptoir et m'assis à l'une des rares places encore disponibles. Je me retournai pour jeter un bref coup d'œil autour de moi, puis je fis un petit signe en direction de mon autre barman préféré. Quand Barry m'aperçut, un sourire illumina son visage.
— Parker ! Comment vas-tu, ma belle ? demanda-t-il en tendant ses grands bras par-dessus le bar pour les enrouler autour de mon cou.
Je fus soulevée du tabouret, à moitié en équilibre sur la pointe des pieds, mes mains posées sur le comptoir en bois pendant que Barry m'attirait vers lui. Mon dos protesta sous cette position inconfortable et ma nuque grogna également. Je poussai mentalement un soupir lorsqu'il me libéra et je me forçai à sourire malgré l'envie de grimacer.
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Alicia Parker, tome 1 (Sous contrat d'édition)
FantasiAlicia Parker est enquêtrice pour l'Agence, une organisation qui règle tout conflit magique de n'importe quelle nature. Elle a donc l'habitude de côtoyer de nombreuses créatures surnaturelles. Mais quand elle devient la cible d'un de ces monstres, e...