Prologue

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Deux heures.

Deux heures que je suis assise dans cette voiture, le front collé à la vitre, le regard perdu dans le paysage qui défile, passant de villes en villages, de campagne en forêt, de cours d'eau en pierres sèches. Les seuls bruits dans cette voiture sont les frottements des roues sur le tarmac, le fond de musique classique qui passe et le vent qui siffle dans la fenêtre entr'ouverte du conducteur. Et le bourdonnement incessant de cette mouche qui n'a pas quitté l'habitacle de la voiture depuis que je suis montée dedans à l'aéroport. J'ai essayé de l'attraper pendant plus d'un quart d'heure pour lui rendre sa liberté mais, n'y arrivant pas, j'ai baissé les bras, lui laissant l'opportunité de se balader à sa guise. Je me plais à penser qu'elle trouve ce voyage plus gai que moi, qu'elle est en train de vivre le plus grand moment de sa vie. Moi aussi, c'est un grand moment dans ma vie... Mais je ne le trouve pas gai, je n'ai jamais voulu le vivre. Je voulais rester là-bas, à Paris, dans cette ville qui m'a vu naître et grandir, cette ville où j'avais toute ma vie, mes amis, mes rêves, mon avenir, entourée de tout ce que j'aimais, de tout ce que je voulais. Mais, comme dans tous les plus grands films pour adolescents, c'était sans compter sur le destin, ce fichu destin, lui qui passe son temps à bousiller la vie des gens, à faire passer les rêves à la trappe et à mettre des obstacles sur tous les chemins que vous voudriez emprunter. J'avais osé espérer qu'il oublierait mon existence et ma vie, mais il ne l'avait fait que pendant 19 ans avant de s'abattre sur moi comme un faucon sur sa proie.

Un jour, il y a maintenant 2 mois, un orage s'est abattu sur Paris, un terrible orage, le tonnerre grondait et des cordes se versaient sur les rues, je rentrais à pied d'une soirée cinéma avec Clarisse, une nouvelle amie rencontrée quelques jours plus tôt. Trempée jusqu'aux os, tremblotante, je n'ai pas attendu le retour de mes parents ce soir-là. Je me suis douchée et je me suis faufilée sous mes draps, espérant me réchauffer. Je me suis endormie de bonne heure, sans me préoccuper du retour de ma famille.

Mes parents travaillaient tous les deux dans une entreprise pharmaceutique et avaient des horaires similaires, ils partaient et revenaient toujours ensemble. Charlotte, ma petite sœur de six ans, partait avec eux le matin pour qu'ils la déposent à la garderie et ils passaient la reprendre vers 20 heures chez une nounou.

Le lendemain, je m'étais réveillée, éblouie par le soleil qui s'infiltrait dans ma chambre par la fenêtre. J'étais passée devant la salle de bain inoccupée, devant la chambre de mes parents où le lit était déjà refait et dans la chambre de Charlotte où rien n'avait été déplacé alors que le samedi, elle jouait toujours un peu avant d'aller prendre son petit déjeuner parce qu'elle était toujours levée plus tôt que les parents. Ça ne me semblait pas normal, et tout me sembla davantage louche quand je descendis et qu'aucun bruit ne se faisait entendre. Je n'eus pas le temps d'aller plus loin dans la maison car la sonnette de l'entrée avait retentit. Une fois la porte ouverte, je sus qu'il s'était passé quelque chose: devant moi, se tenaient deux policiers, képi à la main, la mine déconfite.

- Mademoiselle Estelle Chevalier? Commença le premier.

- C'est moi, répondis-je, la gorge serrée.

- C'est au sujet de vos parents, Robert et Héloïse Chevalier. Hier soir, vers 21 heures, sur le chemin du retour, ils se sont fait percuter par un camion... Ils sont malheureusement décédés sur le coup. Toutes nos condoléances, mademoiselle.

Je reste figée, une main sur la porte, l'autre devant ma bouche, sonnée, incapable de dire un mot, les larmes aux yeux.

- Votre sœur, Charlotte, est à l'hôpital. Sa vie n'est plus en danger, vous pouvez aller la voir.

- M... Merci, balbutiais-je.

- En prévision d'une réaction plus brutale, nous avons emmené avec nous un médecin de l'hôpital, il peut vous conduire auprès de votre sœur.

J'avais acquiescé avant de sombrer dans un trou noir, pour me réveiller quelques minutes plus tard, dans mon canapé, le fameux médecin à mes côtés. Les deux policiers m'avaient demandé s'il y avait de la famille à prévenir, mais il ne restait que notre tante, Laetitia, la sœur de notre mère, vivant en Australie. Puis ils étaient partis en me promettant de la prévenir, le médecin m'avait emmenée à l'hôpital auprès de Charlotte, la pauvre petite avait le bras droit dans le plâtre et des ecchymoses plein le visage. En la voyant, j'avais fondu en larmes et l'avait serrée contre mon cœur du plus fort que je le pouvais. Ensuite, tout s'était passé très vite, Laetitia était revenue en France pour les funérailles et pour s'occuper des papiers et de Charlotte. Elle avait tout fait pour l'adopter. Moi, j'avais le choix, ayant dépassé les 18 ans, je pouvais soit me débrouiller seule, soit les suivre en Australie. Je ne voulais pas me séparer de ma sœur, pas après ce qu'il venait de se passer, alors je pris la décision d'aller vivre en Australie. Notre tante et Charlotte prirent l'avion 3 jours après les funérailles. Je restai quelques jours de plus pour saluer mes amies une dernière fois. C'est ainsi que je me suis retrouvée dans cette voiture, à deux heures de l'aéroport d'Adélaïde, en plein mois de Juin, le front collé à la vitre, cette mouche insupportable bourdonnant dans mes oreilles.

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