Chapitre 4 (2)

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- Alors ces recherches? me demande-t-elle.

- J'ai quelques idées, j'ai proposé à Cha' d'aller chercher ce qu'il nous faut demain après l'hôpital.

- Pas de soucis, me répond-elle, mais je remarque que son sourire s'estompe.

- Un problème? Demandais-je en commençant aussi à trier les framboises.

- Non... Enfin... Je ne saurais pas venir avec vous demain. Avec le véto qui doit venir changer le pansement de Lotus et l'histoire avec son ancien propriétaire, je pense que je dois rester ici.

- Son propriétaire?

- Oui... Il n'avait aucun soin de son animal. Pour première preuve, il n'avait pas de prénom... Je ne sais comment il a appris que l'association, qui a secouru Lotus, me l'avait amené, alors il est venu essayer de le récupérer ce matin. Comme je lui ai refusé de voir notre protégé, j'ai peur qu'il revienne le chercher.

- C'était lui ce matin?

- Tout à fait.

- Ce n'est pas grave, j'irai seule avec Charlotte. Il me faudra juste le GPS et je me débrouillerai. J'en profiterai pour aller manger un morceau, ça nous fera du bien d'être à deux et discuter un peu. Je n'ai rien fait avec elle depuis le décès de papa et maman... Je pense qu'elle a besoin de moi.

- Tu as raison, profitez-en. Heureusement que tu as ton permis, je pourrai peut-être avoir besoin que tu ailles chercher des courses parfois quand Jacob ne sera pas là. Je ne m'en sors pas toujours sans lui. D'ailleurs, en attendant que ta chambre soit faite, n'hésite pas à aller dormir dans son lit, il ne revient pas avant la fin de la semaine.

- Merci Letty mais je n'ai pas trop mal dormi dans le sofa, je referai pareil cette nuit.

- Comme tu le désires jeune fille.

Je souris en cherchant Charlotte et le vieux chien du regard. Celui-ci passe son temps à se coucher et à s'asseoir sous les ordres autoritaires de ma petite sœur, haletant comme si ses poumons allaient éclater, la langue pendante. J'admirai sa patience à ne pas abandonner.

Je me lève et rejoins la petite chipie.

- Chachou', j'aimerais que tu laisses Brack se reposer un peu, il devient très vieux tu sais. Et si tu ne le laisses pas un peu tranquille il ne voudra plus jamais jouer avec toi.

- Lui aussi il va mourir? Me demande-t-elle, de but en blanc.

- Un jour, oui. Tu sais tout le monde meurt un jour ma chérie. Ainsi va la vie, tout le monde vieillit et fini par rejoindre les étoiles.

- Papa et Maman sont des étoiles? Dit-elle, les yeux brillants.

- Oui ma belle, Papa et Maman sont des étoiles maintenant.

- Et ils font quoi avec les autres étoiles?

- Ils veillent sur toi, ils veillent sur leur petite princesse. Ils seront toujours avec toi. Dans ton cœur, juste là, dis-je en posant ma main sur sa poitrine. Ils ne t'oublieront pas, jamais, tout comme toi tu ne les oublieras pas.

- Et toi? Tu vas les oublier? Me demande-t-elle.

- Non, jamais!

- Et eux? Ils vont t'oublier? Ils ne veillent pas sur toi? Demande-t-elle, terrifiée.

- Mais non, ils veillent sur moi aussi, et sur Letty.

Les traits de son visage se détendent d'un coup quand elle prononce un "Alors tout va bien" énergique avant de s'enfuir vers le poulailler à toutes jambes, suivie de près par Brack qui semble moins vieux quand il s'agit de la poursuivre. Je souris de toutes mes dents et retourne m'asseoir près de ma tante pour l'aider à trier le reste du panier.

Une fois que j'ai terminé, près d'une heure plus tard, je vais voir mon nouvel ami qui s'est enfin réveillé complètement. Charlotte, accompagnée de Brack et de Sephora, sa poupée préférée, me rejoint sur le petit chemin de terre menant à l'écurie. Elle veut me présenter à Charly selon ses dires, et je me dis que j'en profiterais bien pour lui montrer Lotus et qu'ils fassent connaissance.

Malheureusement pour la petite, Charly et Cora sont encore au champ à cette heure, c'est la mine déconfite qu'elle me suit jusqu'au box de l'étalon. Son sourire revient très vite quand elle voit la magnifique tête de la bête, mais il s'efface à nouveau quand ses yeux tombent sur les bandages, devenu légèrement rouges.

- Oh! Ne regarde pas Sephora! Dit-elle à sa poupée, en lui cachant les yeux de sa petite main.

Je ne peux m'empêcher de sourire devant cette scène qui attendrirait même le cœur du plus méchant des hommes.

- Il a mal? Me demande-t-elle en se tournant vers moi.

- Certainement mais on s'occupe de lui, le vétérinaire est venu ce matin et il l'a soigné, maintenant on doit attendre qu'il guérisse.

- D'accord, et qui est-il?

- Il s'appelle Lotus, c'est un étalon qui est arrivé ce matin. Les gens qui l'ont amené ont demandé à tante Letty de s'en occuper et de l'aider à guérir.

- Et on va l'aider?

- Oui, bien sûr!

Je profite du moment pour annoncer à Charlotte que demain nous passerons la journée entre sœurs. Elle saute de joie à cette annonce, rien que le fait qu'on lui enlève son plâtre l'enchante. Elle n'a donc pas de déception quand je lui annonce que notre tante ne sera pas de la partie.

Après, je l'autorise à caresser les naseaux de Lotus qui passe la tête à la porte de son box, intrigué par la petite fille. Elle assoit Sephora sur un bac retourné et s'occupe de Lotus pendant un long moment. Elle lui donne du foin à manger, essaye de lui donner à boire dans un minuscule seau ou encore essaye tant bien que mal de lui peigner l'avant de sa crinière qu'elle n'atteint pas. Assise sur un ballot, caressant la tête du vieux chien à côté de moi, je l'observe en souriant, tout comme le faisait mon père quand j'étais petite.

J'avais un grand château de princesse qu'il avait installé au beau milieu du salon et, pendant des heures, il m'observait inventer des histoires sans queue ni têt. J'aimais quand il faisait ça, je sentais ses yeux qui suivaient le moindre de mes faits et gestes, il écoutait mes histoires et ses sourires accompagnaient mon imagination. C'était grâce à ce château que Charlotte avait eu droit à ses premières histoires venant de sa grande sœur, car je l'utilisais souvent pour illustrer ce que je lui racontais. Mais elle, elle n'avait pas eu cette chance et ne l'aurais jamais. Papa n'était plus là pour la regarder jouer, pour l'écouter raconter des histoires à dormir debout. Elle les avait perdu tout comme moi, mais elle les avait perdu trop tôt, elle était trop petite. En l'observant ainsi s'amuser avec Lotus, j'espérais au plus profond de moi-même qu'elle pourrait ressentir cette impression de sécurité et de bien-être. Mais je ne suis pas Papa, et elle n'aurait jamais cette impression grâce à lui. Elle ne connaitrait pas cette forme de bonheur comme je l'avais connue dans une famille forte et soudée. Et cela me rendait triste, très triste. Ils manquaient toutes ses belles années et manqueraient toutes ses années à venir, elle était seule, orpheline. Letty et moi, c'était tout ce qui lui restait et jamais il ne fallait que l'on ne l'oublie, que je ne l'oublie.

Après plus d'une demie heure de jeu avec Lotus, Letty nous appelle pour aller rentrer les chevaux pour la nuit, je me retrouve donc en plein milieu de la prairie, la longe d'Amber dans les mains pour mon premier "cours": apprendre à mener un cheval et surtout à l'attraper pour lui passer la longe. Après dix minutes d'approche simple et de caresse sous les rires enfantins de Charlotte qui trouve très drôle me voir ramer pour passer la longe dans la bride, je parviens à emmener Amber à l'écurie et à tout lui enlever avant de la mettre au box jusque demain matin. Nous passons ensuite toutes les trois nos mains sous le jet froid du tuyau d'arrosage avant de prendre la direction de la maison afin d'aller nous doucher avant le repas du soir. 

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