Chapitre 1

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Après plus de deux heures et demie de route, la voiture pénètre dans la cour de la fermette de ma tante.

Le point de vue offert est magnifique. Mes yeux parcourent l'endroit avec émerveillement : la maison au bout de l'allée, les écuries où deux chevaux passent curieusement la tête, le verger gorgé de fruits, le potager ou encore les champs offrant encore quelques taches de verdure aux vaches malgré le chaud soleil d'été.

Dans une autre prairie, plus près de la voiture, une jument et son petit passent au galop, libres comme l'air, rien ni personne n'entravant leur course magnifique. J'aperçois au loin quelques poules qui grattent la terre sèche de leur poulailler, à la recherche de nourriture. En regardant à nouveau vers la maison, j'aperçois Laetitia, debout à côté d'un buisson, un panier au bras, observant la voiture avancer vers elle.

Et enfin mes yeux tombent sur Charlotte, assise sur les marches menant à la maison. Vêtue d'une robe rose clair et d'une paire de bottes en caoutchouc, son petit bras toujours dans le plâtre, elle caresse un gros chien noir, sa poupée préférée serrée contre sa poitrine. Ni elle ni le chien ne semblent remarquer le véhicule qui s'arrête à quelques mètres d'eux. Ce n'est que quand j'ouvre la portière et pose un pied sur le sol que Brack, relève lentement sa grosse tête et aboie une seule et unique fois, ce qui a pour effet de me faire sourire, ce chien a toujours été un garde fainéant. Charlotte sort de sa rêverie et me regarde un cours moment, l'hésitation planant sur son visage avec un faible sourire. Je vois passer dans ses yeux bleus, autrefois si lumineux, un éclat de tristesse. Après ce court instant, elle se rend sans doute compte qu'elle ne rêve pas, que je suis bien là, et elle dévale les escaliers en courant pour se jeter dans mes bras. Mon cœur si serré dans ma poitrine s'emplit de bonheur, je le sens se gonfler et je ne peux empêcher mes larmes de couler sur ses cheveux blonds.

- Bonjour, ma princesse, dis-je, la gorge serrée.

- 'jour Estelle, me répond-elle, sans me lâcher.

- Tu vas bien?

Elle ne me répond pas, se contentant d'hocher la tête.

- Bonjour ma grande, me dit Laetitia, en s'approchant.

- Bonjour Letty.

- Tu as fait bon voyage?

- Oui ça a été. Un peu long surtout seule mais je suis contente d'être là.

- Je comprends. Viens, nous allons décharger la voiture et Charlotte te fera visiter la maison.

- Je vous suis.

Je décharge toutes mes affaires pendant que ma tante règle le chauffeur, et j'en profite pour faire débarquer mon amie la mouche qui était posée sur la boite à gants. Elle sera plus heureuse dans une ferme que dans cette voiture. J'emporte mes valises devant les marches suivie de près par Charlotte qui examine chacun de mes gestes, la tête penchée sur le côté.

- Je vais te faire visiter pendant que Tante Letty parle, me dit-elle, impatiente.

- D'accord, je te suis.

- On va commencer par ta chambre! Ordonne-t-elle, sûre d'elle.

- Attend ma chérie, nous irons dans sa chambre après, annonce Letty. En premier, faisons-lui visiter le bas. Il ne faut pas qu'elle se perde.

- 'est vrai, acquiesce la petite, avec une moue conciliante.

Ma petite sœur me fait donc visiter tout le bas, de la cuisine aux toilettes, en passant par le salon, la salle à manger et la petite salle de jeu, improvisée par Letty dans son bureau à l'arrivée de Charlotte. Puis, elle me fait monter à l'étage et me fait entrer dans toutes les pièces en commençant par sa chambre.

- C'est moi qui ai choisi la couleur, me dit-elle fièrement. Tante Letty a eu fini de tapisser hier matin, alors on a tout aménagé hier soir. C'est joli hein?

- C'est très beau.

Je remarque qu'elle a changé radicalement la couleur et la disposition de sa chambre par rapport à celle qu'elle avait chez nous, à Paris. Pour ici, elle a choisis un orange pastel, avec des meubles d'un blanc éclatant. Sur son petit bureau, lui, d'un rose flash trône un ordinateur. Ce qui me fait sourire, elle en voulait un depuis longtemps mais, vu son âge, les parents ne voulait pas. En France, sa chambre était rose et elle tenait à son rose coute que coute. Elle avait changé de style, seule, et je trouvais ça incroyable.

- Viens je vais te montrer la chambre de Tante Letty et la tienne.

Je la suis dans le couloir. La chambre de Letty est à côté de celle de Charlotte attenante avec une salle de bain pour elles deux. La mienne aussi est reliée à une salle de bain, et celle-ci communique avec une autre chambre.

- Je t'ai mis la chambre qui n'a jamais été aménagée ni décorée pour que tu puisses tout faire comme tu le désires, m'explique Letty. Malheureusement, tu devras partager ta salle de bain avec mon ouvrier, Jacob, il revient la semaine prochaine. Tu peux dormir dans sa chambre en attendant que la tienne soit finie.

- Merci beaucoup, je préfère dormir dans le canapé que de dormir dans le lit de quelqu'un d'autre.

- Pas de soucis. Viens, allons chercher tes affaires.

Je remonte les bras chargés de mes valises, je ne les ouvre pas et les dépose au milieu de ma chambre vide. A la demande de Charlotte, je me change et la suit dehors pour aller visiter la ferme. Elle me fait visiter les étables, le poulailler, le potager et la grange, puis Letty nous appelle pour le souper. Le repas se passe dans le calme. Quand la fatigue commence à prendre le dessus, c'est avec plaisir que je monte prendre une douche et que je m'installe dans le canapé. Je lis un peu avant d'aller coucher Charlotte et d'aller me coucher à mon tour. Avant de m'endormir, je pense un peu à la façon dont je vais aménager ma chambre. Moi aussi je veux changer de ce que j'avais avant. Je m'imagine une dernière fois la composition de ma chambre en France, les murs peint en mauve pastel, l'éternelle frise ornée de petits oursons que j'avais choisie à l'âge de 5 ans, mon lit en bois blanc d'enfant qui ne m'avait jamais quittée.

Enfant, j'avais peur du noir, peur de dormir seule et pour couronner le tout, je détestais ma chambre, alors chaque nuit je réveillais mes parents et les empêchais de dormir. Quand ils avaient acheté la maison, ils ne pensaient pas avoir d'enfants tout de suite, et avaient donc transformé une des deux chambres restantes en bureau et n'avaient pas eu le temps de le transformer en véritable chambre pour ma naissance inattendue. Et leurs faibles moyens à l'époque, ne leur avaient pas permis d'en changer avant que je sois en âge de choisir moi-même ce que je voulais. Alors pour contrer cette peur, et surtout pour que j'aie l'impression d'y être chez moi, ma mère m'avait emmenée dans un magasin de déco et, ensemble, nous avions choisi une nouvelle couleur pour les murs de ma chambre, une frise qui me plaisait et de nouveaux meubles. Une fois ma chambre finie et réaménagée, je n'avais plus jamais voulu en sortir et refusait catégoriquement de me coucher ailleurs, même dans la chambre de mes parents que je trouvais si rassurante auparavant, quand je me blottissais dans les bras de ma mère et m'endormais d'un sommeil sans mauvais rêves.

Les bras de ma mère me manquaient, son sourire si rassurant dans les moments de détresse, ce regard empli de fierté qu'elle portait sur moi ou sur Charlotte quand nous réussissions quelque chose, cette façon simple qu'elle avait de gérer nos crises de larmes et de nous consoler. Elle semblait tellement forte et indestructible que depuis ma plus tendre enfance, je la croyais immortelle, je pensais qu'elle serait toujours là. Je revois distinctement ce sourire différent qu'elle donnait à mon père quand il entrait dans une pièce et cette étincelle dans ses yeux. Elle avait trouvé l'homme de sa vie, il était son prince charmant, le père de ses enfants, et jamais il n'avait baissé les bras devant l'obstacle, il était son pilier comme il était le mien. Il avait été un bon père, un grand et fervent protecteur de sa famille, un père que je n'aurais remplacé pour rien au monde. Elle l'aimait, ils s'aimaient plus que tout. Et c'est, les larmes coulant sur mes joues, que je me dis qu'ils ne pouvaient pas rêver mieux que de mourir ensemble, la main dans la main. Car oui, étrangement, quand les secouristes avaient sorti leurs corps de la voiture, ils se tenaient la main, en dernier signe de leur amour sans faille.

Je souris faiblement entre mes larmes etm'endors, l'image de leurs visages souriants dans la tête.

Nouvelle vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant