Nouvelle vie

Chapitre 14

Je l'accompagne dans un pré vide, je sens son agacement et son envie d'aller galoper seul, sans entrave. Je flatte son encolure et lui dépose un baiser sur le nez avant de délier la corde accrochée à sa bride. Ensuite, je recule et ferme la clôture. Je m'accoude à la barrière et observe Lotus. Après quelques secondes à regarder autour de lui et à flairer les alentours, il s'élance au galop. Il semble tellement léger, sa crinière volant dans le vent frais du début de soirée. Je vois ses muscles qui roulent sous sa peau à chaque mouvement de ses jambes fortes et musclées. Jamais une course de cheval ne m'avait semblée aussi belle. Je ne peux m'empêcher de m'imaginer galopant avec lui, sur son dos puissant, parcourant les sentiers de forêt ou les prairies vertes du début d'été.

Je souris, heureuse pour mon protégé, je suis contente de le voir galoper pour la première fois.

C'est Marc qui me sort de mes pensées en venant s'accouder à côté de moi.

- Il est magnifique, dit-il en le regardant.

- Oui, acquiescé-je.

Je souris alors que mon étalon se calme et se met à brouter.

- Je pense qu'il est heureux de pouvoir gouter à nouveau à la saveur de l'herbe tendre, dis-je, en le regardant.

- Non, commence le vétérinaire. Je crois qu'il est heureux de gouter à la saveur de l'herbe tendre.

- Comment ça? Demandé-je, étonnée.

- Son ancien maître l'a attaché dans un box dès son plus jeune âge. Il ne lui a jamais enlevé cette corde de toute sa misérable vie. C'est pour ça qu'il avait cette marque autour du cou. Il a grandi avec cette corde et n'a jamais vu la lumière de jour où même le moindre brin d'herbe. Je sais qu'il a été débourré et qu'il était monté, mais cette corde restait toujours là et tout se faisait en extérieur.

- C'est horrible, dis-je, les larmes aux yeux.

- Quand j'ai découvert Lotus, dans cette écurie, seul et blessé. J'ai tout de suite appelé ta tante, je savais qu'elle avait de la place pour le mettre et qu'elle saurait le soigner et s'en occuper. Il ne reste plus que quelques papiers à signer pour qu'il soit définitivement à vous. Et vous devez les signer au plus vite maintenant car son ancien maitre est déjà venu deux fois pour le récupérer... et je sais qu'il n'en restera pas là. Je me demandais donc si ça ne te dirais pas de les signer à la place de Letty. Lotus serait ton cheval à toi toute seule.

Je le regarde bouche-bée, les yeux brillants.

- Tu penses que ça pourrait vraiment se faire?

- Bien sûr, il suffit qu'on en parle avec Letty avant le retour de cet homme.

- On peut aller en parler tout de suite alors. Pourquoi attendre?

Il sourit, me regarde rattraper Lotus et le remettre dans son box avant d'aller retrouver Letty.

Je l'aperçois en grande discussion avec le même petit homme bedonnant que le premier jour après mon arrivée. Letty a l'air énervée, l'homme se tient toujours en retrait, sa tête penche encore vers l'arrière. Cette fois, je sais qui il est et je n'hésite pas à avancer en vitesse vers eux, Marc sur mes talons.

Nous sommes à peine arrivés à leur hauteur que l'homme s'éloigne. Letty se tourne vers nous et nous lance un regard désespéré avant de le regarder partir.

Je comprends plutôt bien les raisons qui pressent Marc à faire signer les papiers de propriété de mon protégé. Je décide donc de relancer cette discussion sans plus attendre et avec l'accord de ma tante, nous entrons la demande de propriété tout de suite jointe à la déposition de plainte pour maltraitance de Marc.

Letty et moi sommes assez soulagées après cette étape mais nous savons toute les deux que Lotus n'est toujours pas en sécurité, que cet homme a encore tous ses droits sur lui. Il en est toujours le propriétaire aux yeux de la loi tant que le centre qui vient en aide aux animaux n'a pas fait le nécessaire pour qu'il soit vraiment en ma possession.

Une fois les papiers signés, Marc et Letty achèvent les corvées extérieures avec nous puis décident d'aller déposer eux-mêmes les papiers directement au centre et d'aller manger un bout en amoureux. Ils nous laissent donc la garde de Charlotte et quittent la maison.

Je demande à Jacob de m'accompagner avec la petite pour que je puisse quand même monter Nuage aujourd'hui. En effet, il me reste peu de temps pour m'habituer aux mouvements de l'étalon et me sentir bien en selle avant notre expédition dans les champs pour conduire les vaches dans leurs prairies au loin. L'expédition est prévue pour la semaine prochaine mais je n'en connais pas encore tous les détails. Ce qui me préoccupe le plus, ce n'est même pas la façon dont moi je vais m'en sortir mais bien comment Charlotte va pouvoir monter Myrtille aussi longtemps.

Je monte pendant plus d'une heure sans voir le temps passer. Je ne peux m'empêcher de me dire que j'aurais aimé pouvoir faire cette expédition avec Lotus mais sa convalescence n'est encore finie et je n'aurais jamais le temps de lui réapprendre à être monté.

Quand je descends de Nuage, j'entends Charlotte râler. Elle est assise avec Jacob sur la barrière de la piste que je viens de quitter, et semble ne pas vouloir faire ce qu'il lui demande. Je rentre Nuage, le desselle et le nourrit en tendant l'oreille pour suivre leur discussion. J'entends Jacob lui parler assez durement a son ton mais je ne comprends pas ce qu'il dit.

Je sors de l'écurie assez rapidement pour essayer et m'approche d'eux. Je vois bien que Jacob commence à perdre patience, il me lance un regard désespéré quand je me poste devant eux. Ma petite sœur lève les yeux vers moi et me sert son sourire le plus angélique qu'elle possède. Je lui fais les yeux ronds.

- Que ce passe-t-il jeune fille? J'ai bien entendu que tu n'écoutais pas Jacob. Alors explique-moi.

- Je... euh... bredouille-t-elle, en baissant les yeux vers ses bottes.

Jacob saute en bas de la barrière et se met à ma hauteur pour m'expliquer.

- Charlotte n'est pas contente parce que je lui ai demandé d'aller se laver en rentrant pendant que nous préparons le souper tous les deux. Elle estime que je n'ai pas à lui dire ce qu'elle a à faire et que si elle décide qu'elle n'ira pas se laver seule, elle ne le fera pas. Sous-entendu donc que tu devais l'accompagner et que je faisais le repas seul.

- Ah bon... dis-je. Pourtant tu sais que tu dois écouter ce que les grands te disent. Jacob a besoin d'aide pour le souper. Alors tu vas prouver à tout le monde que tu es une grande fille et tu vas aller commencer à te laver seule. D'accord?

Elle hoche la tête et file à la maison sans un mot. Une fois seul avec Jacob, je lui explique qu'elle ne sait pas encore se laver seule. Il décide alors de faire le repas seul, et je monte m'occuper de ma petite sœur.

Charlotte ne dit pas un seul mot pendant tout le temps que je m'occupe d'elle, ni pendant le repas, une fois celui-ci finit elle monte dans sa chambre et s'y enferme seule pour le reste de la soirée, refusant que j'entre, refusant de me parler.

C'est le cœur lourd que je rejoins Jacob dans sa chambre, j'ai passé plus de quinze minutes, assise devant la porte de ma petite sœur et son comportement m'inquiète.

Je frappe légèrement et passe ma tête dans l'embrasure de la porte. Il est là, couché sur son lit, torse nu, seulement vêtu du même bas de jogging qu'hier soir. Son gsm dans les mains, ses écouteurs enfoncés dans ses oreilles, le regard dans le vide. Ses traits sont tirés et il semble réfléchir intensément, ses longs cheveux sont détachés, les pointes encore mouillées de sa douche, et tombent sur ses épaules musclées, faisant ressortir sa peau bronzée.

J'hésite quelques secondes entre entrer pour lui parler et le laisser tranquille et rejoindre ma chambre.

Ce sont ses traits tirés par la fatigue et ses yeux se fermant doucement qui me font me décider. Je quitte donc le pas de sa porte, ferme doucement la porte derrière moi et vais dans ma chambre.

Je prends le temps de changer mes draps de lit, vais prendre une douche et me couche à mon tour. Je lance une série sur mon ordinateur et en regarde un épisode avant de tomber endormie.