1.1. Cours et ne te retourne pas

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Sans même jeter un  dernier regard à ma chambre, je me précipite dans le couloir et cours la  rejoindre. Très vite, je reprends mes esprits et m'arrête juste avant  de descendre le grand escalier qui mène au rez-de-chaussée. Je dois  contenir mon excitation. Ne rien laisser paraître. 

Lentement je descends une à une les marches qui mènent au rez-de-chaussée. Ma main glisse sur la rampe. Mes pieds ne vacillent pas, mais mon cœur bat à toute allure. Au moment d'apercevoir June dans l'entrée, j'inspire profondément. Ma meilleure amie discute joyeusement avec Maria, notre gouvernante. Elle me repère à son tour.

—  Prête, Barbie girl ? lance-t-elle.

—   Absolument, dis-je en lui décochant un clin d'œil. Juste un instant, je vais prévenir mon père.

Pour prendre des forces avant l'assaut final, je la serre quelques secondes dans mes bras, puis je me dirige vers l'aile droite de la maison. Je traverse l'enfilade de pièces, le cœur battant trop vite. Un salon, puis un autre, la bibliothèque, le fumoir. 

Avant de m'engager dans l'étroit couloir qui mène au bureau de mon père, je réalise que c'est la dernière ligne droite. Plus que quelques minutes. Le compte à rebours à commencer.

Soudain, les murs m'oppressent. J'ai l'impression qu'ils se rapprochent de moi comme s'ils voulaient m'empêcher d'atteindre mon but. Je n'entends plus que les battements de mon cœur. Je marche lentement. Je me concentre sur ma respiration pour garder mon calme, mais mes mains sont moites et mes pas fébriles.

Devant la porte de son bureau, je compte dans ma tête : 1, j'inspire. 2, je me redresse. 3, j'expire. Mon visage revêt son masque habituel, puis je toque d'un coup ferme mais pas trop fort sur la porte pour l'avertir de ma présence.  

—     Entrez, tonne une voix ferme.

J'ouvre la porte, avance de quelques pas dans son antre et attends son autorisation tacite pour parler.

—     Excusez-moi de vous déranger, père. June est arrivée, nous sommes prêtes à partir. 

Sans me regarder, il décroche son téléphone.

—     Miguel, faites avancer la voiture. 

Aucune émotion ne transparaît sur son visage. Il reste froid et impassible.

—     La voiture t'attend. Appelle-moi à ton arrivée.

Il ne prend pas la peine de se lever pour me dire au revoir et n'a pas non plus daigner me regarder une seule fois dans les yeux.

— Bien sûr, père.

Lorsqu'il se met à ouvrir un dossier sur son bureau comme si de rien était, j'ai envie de crier, de le griffer, de laisser des marques sur son visage pour qu'il n'oublie pas que son animal domestique s'est échappé. Son indifférence apparente m'insupporte, pourtant je sais qu'une bile amère macère au fond de sa gorge. Qu'est-ce que tu croyais, que tu pourrais agiter indéfiniment les fils de ta marionnette ? Tu ne veux pas regarder la réalité en face ? Pourtant c'est bien réel, je me taille, mon coco.

C'est vers l'âge de treize ans, que j'ai commencé à lui répondre dans ma tête. Cela peut sembler puéril mais c'est très efficace pour ne pas exploser à chaque fois que la moutarde me monte au nez. Je le tutoie, je l'affuble de petits noms ridicules et ça suffit à faire mon bonheur.

— Prenez soin de vous, père, dis-je avant de prendre congé, la voix calme et posée.

Après de longues embrassades avec Maria, le trajet en limousine et les contrôles de sécurité passés, il n'y a plus personne pour me surveiller. Je jette un dernier regard autour de moi pour m'en assurer, puis je retire une à une les épingles de mon chignon. Chacune d'entre elles m'allège d'un poids qui semblait peser des tonnes. Je commence à me sentir plus légère.

Au moment où je secoue la tête, une envie subite de sauter partout, de lever les bras en l'air et de crier me submerge. Le sourire aux lèvres, je regarde June.

— On y est arrivé, dis-je avant d'exploser de joie.

Je ne peux plus réprimer ma joie. Jusqu'à l'enregistrement des bagages, j'ai redouté que mon père trouve un moyen de me retenir. Je m'attendais à voir débouler un de ses hommes, entendre une annonce dans tout l'aéroport, voir la sécurité m'arrêter. Je n'arrivais pas à croire que c'était vraiment vrai. Je pars !

Plus rien ni personne ne me retient. Je suis libre ! June n'en croit pas ses yeux. Je saute dans tous les sens. Sa tête me fait rire et me donne encore plus envie de faire n'importe quoi. Moi qui déteste attirer l'attention, là, c'est plus fort que moi, je ne peux plus m'arrêter. Sans surprise, Ju se joint à mon pétage de plomb et se met elle aussi à sauter dans tous les sens.

Nous voilà toutes les deux en plein milieu de la salle d'attente de l'aéroport en train de danser. On dirait deux folles qui viennent de gagner le gros lot d'un jeu télévisé. 


Si vous avez des commentaires sur la couverture, surtout n'hésitez pas.


Entre tes Griffes 1 (Publié Aux Éditions HLab)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant