— Vous lui remplissez la tête de futilités, elle reçoit de vous une éducation de jeune homme. Je vous crois bien, frustré, de ce que je ne vous en ai point donné, et j'en suis navrée, profondément, mais je ne puis vous laisser gâcher l'éducation de ma fille pour autant.
— Enfin, très chère, de quoi parlez-vous ? Élisabeth est la personne la plus aimable et docile que je connaisse. Vous l'avez parfaitement bien éduquée, elle se plie à vos moindres désirs. Laissez-la lire de la philosophie selon sa fantaisie, une fois mariée, elle sera soumise à son époux et ne vous causera pas le moindre souci.
— Puissiez-vous dire vrai.
Le soleil est haut dans le ciel en cette fin de mois de septembre. La journée est splendide à mon domaine familial où ma vie s'écoule, doucement, lentement.
Je viens d'achever mon second livre qui relate l'histoire du siècle dernier, fort intéressant. Je ne me lasse pas de lire et relire tout ce qui compose la bibliothèque de mon père, comme si cela pouvait me rapprocher de lui.
Cela fait pourtant trois ans maintenant, j'en suis toujours autant affectée, pleine de remords et de regrets.
Les larmes viennent aisément piquer mes yeux. La dernière année de sa vie fut si riche, si belle, et nous étions si proches.
J'inspire, et passe un doigt sous mes paupières, rangeant ce livre à sa place d'une main fébrile.
La porte s'ouvre soudain ; c'est une de mes femmes de chambre qui m'avertit que le dîner est avancé. Le repas se déroule dans le calme, comme de coutume, ma mère, la tête haute, dîne muettement. Sa présence nous plonge dans un respectueux silence ma cadette et moi.
Depuis le décès soudain de son mari, elle vit de plus en plus recluse, ne laissant jamais transparaître ses sentiments, je la sens lasse de tout. La voir ainsi m'attriste davantage de jour en jour.
Ma sœur en est bien moins touchée, malgré la bonne relation qu'elle entretenait avec mon père, elle n'est encore qu'une enfant.
Soudain, elle m'interpelle, et me demande alors de lui jouer de la harpe. Agréablement surprise, j'acquiesce.
Réunies autour du bel instrument, je leur offre un morceau que j'ai composé pour combler mes journées triviales. La mélodie résonne en mon cœur. Je la sens me transporter.
Je joue pour lui, pour mon père qui m'apprit tout à ce sujet, mais aussi pour moi, pour parvenir à exprimer ce que je ressens..
— Élie, c'était très beau ! s'exclame ma jeune sœur à peine mes doigts dégagés des cordes.
Elle se précipite dans mes bras, et ajoute :
— Tu es si douée que tout le royaume devrait t'entendre !Je fonds devant des propos aussi adorables. Heureusement qu'elle est là, elle et sa gaieté innocente. Je lui souris, et caresse son crâne, d'où descendent ses longs cheveux blonds. Je ne parviens pas à croire qu'elle va arriver au terme de ses dix années.
L'avis qui m'importe le plus est celui de ma génitrice, plus objectif.
— Je lui ai trouvé quelques attraits, il a mon assentiment. Anne a raison. Vous avez du talent, poursuit-elle, en se levant de son fauteuil. Ce serait égoïste de notre part de nous le réserver.
Qu'entend-elle par la sorte ?— Oui, tu devrais aller à Paris, Élie ! continue ma sœur aux yeux bleus brillants.
— Ou à Versailles plutôt ! Tu montrerais tes talents à de grands compositeurs ! dit-elle avec entrain.
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La comtesse de Lisière [EN PAUSE]
RomanceFin XVIIe siècle (1680-90) Fille de comte, Élisabeth de Lisière est une harpiste de talent qui reste très affectée par la mort de son père, celui-ci laissant pour seul héritage de lourdes dettes. Attachée à l'espoir de retrouver son meilleur ami d'...