Chapitre 26

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— Très chère, je vous en prie, raisonnez-vous.

— Ne me nommez plus très chère, vous n'en êtes pas digne. Vos discours sont vains ce soir, mon avis est arrêté, et je souffre de ce que vous puissiez encore penser que vous êtes en mesure de continuer à me faire accroire. Vous vous méprenez ! Je n'en puis plus Charles-Henri, cessez de feindre l'innocence. Je n'en puis plus...

— Mère, pardonnez-moi, seulement est-ce que Jules...?

— Élisabeth ! Que faites-vous ici ? Et ne m'évoquez point votre ami ! Retournez dans votre chambre. Et cessez, je vous en conjure, vos lectures profanes ! Voilà encore une chose dont vous êtes coupable, Monsieur. Vous n'êtes donc source que de malheurs.

Ces voix...

Où suis-je ?

J'ai un affreux mal de crâne. Je reste à demi-sonnée encore une dizaine de minutes. Je reprends difficilement mes esprits. Toutes mes pensées se confondent dans ma tête.

Je sens que l'on me transporte. Je suis assise au fond d'une berline ou d'une calèche, mon corps se soulève au rythme des cahots.

J'entrouvre mes paupières que les rayons du soleil m'assaillent. Je vois flou, prise d'une sensation de vertige.

Ma vue et mes souvenirs se mêlent dans une sorte d'enchaînement d'images brouillonnes.

Père ? Mère ? Jules ? ...

Soudain, le visage de Louis-Alexandre m'apparaît clairement. Il me bâillonne avec un sourire narquois, celui qu'il ne quitte que rarement.

D'un geste brusque, alerte, je me redresse et essaie de comprendre où je suis. Un paysage boisé défile.

— Qui vive ? Il y a quelqu'un ? crié-je.

Le cocher ne daigne pas me répondre. Je suis évidemment enfermée.

Une colère sourde m'envahit. Je serre fort la mâchoire. J'ai la bouche sèche, ainsi qu'un goût terriblement amer. J'ai été assez imprudente pour oser me confronter à Louis-Alexandre.

Je le voyais dans ses iris bleus. Il est capable de tout. Son rire cynique et forcé me revient, lorsqu'il me poussa dans l'eau des parterres. Je me sens aussi honteuse et profondément humiliée que ce jour-là.

Ses menaces ont finalement été suivies d'effets...

Depuis combien de temps suis-je inconsciente ? Où m'emmène-t-on ? Que va-t-on faire de moi ?

Je me rends alors compte que mes bijoux ont disparu. Je ricane.

Le temps s'écoule, le paysage change peu, je contemple la grandeur de mon impuissance.

Le soir tombe, on s'arrête devant une auberge de poste, dans un petit village. Deux hommes armés me font descendre. Je ne les reconnais pas. Ils restent silencieux, m'ordonnant du regard de faire de même. Là, venant à notre rencontre, M. de Maleville, le capitaine des mousquetaires !

— Mademoiselle ! Ils vous ont pris aussi, ces infâmes ! s'exclame-t-il au loin.

Il est simplement vêtu d'une chemise blanche, nu-tête, lui aussi suivi de près par des espèces de mercenaires aux visages impassibles.

On me retient d'une main ferme, m'empêchant de le rejoindre. On m'empoigne, me fait entrer, m'assoit, et me fait manger.

Le mousquetaire, qu'on a fait asseoir plus loin, me lance des regards inquiets. L'angoisse me noue l'estomac, je me force à avaler mon potage. Lui aussi enquêtait sur le Prince légitimé, ce n'est pas un hasard que nous soyons ici tous les deux.

La comtesse de Lisière [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant