Chapitre 25.2

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Nous fuyons cet appartement à l'air trop lourd, pour nous autoriser à respirer. Je n'ose encore croire tout ce que j'ai entendu. Nous prononçons alors de concert :

— Je suis désolé.

— Mais Elie, ce n'est point ta faute !

— Et c'est encore moins la tienne ! répliqué-je.

Frustré, il ne répond rien, avant, étrangement de sourire.

— Je saisis enfin pourquoi ma mère souhaitait Constance pour belle-fille ! C'est son portrait craché. Toujours hautaine et arrogante..

Je contiens un petit rire.

— Ahah, oui, tu n'as pas tort.

— Pardonne-moi Elie, je m'en vais retrouver mon père..., je veux dire le Gouverneur. Je veux quand même l'aborder avec lui. On se retrouve tout à l'heure au soir d'appartement, tu me réserves ta première danse !

Il a retrouvé une part de sa gaieté. J'acquiesce avec joie. Il me quitte alors, je l'observe s'éloigner.

Devrais-je retourner voir ma mère ? Lui offrir ma compassion ? Je ne sais que lui dire, ni quoi faire...

Inconsciemment, je me dirigeais vers mes appartements. Une fois la porte refermée derrière moi, c'est comme si toute ma frustration, ma déception, ma colère sourde, tout s'abattait sur moi.

Je m'effondre, m'accroupis et fonds en larmes.

Je l'aimais tellement. Il était mon modèle et mon exemple, j'ai toujours été si fier de lui. Encore hier, je pensais que monseigneur m'adressait l'ultime compliment en comparant mes idées aux siennes. Je le voyais si cultivé, il me semblait savoir tout sur tout, il maîtrisait la conversation... J'admirais ses talents militaires comme musicaux.

Il était ce père qui m'offrait un peu de son temps, et dont je savourais chaque minute passée à ses côtés.

Je l'ai tant, tant, pleuré.

Sans lui, je me sentais comme définitivement seule au monde. Je lisais et continuais de m'instruire sans cesse, mais sans jamais avoir personne avec qui en discuter, personne pour s'y intéresser.

Je passais plusieurs heures au clavecin jusqu'à ce que je sache jouer ses morceaux de mémoire, mais il n'y avait personne pour m'écouter.

Dans le pire des cas, ma mère s'emportait et m'interdisait l'accès à la bibliothèque de son cabinet, ces lectures profanes qu'elle jugeait superflu pour une fille. Il lui arrivait aussi de faire déplacer le clavecin et la harpe dans le grenier.

Je pouvais alors passer des journées entières à regarder le ciel de ma fenêtre, perdue dans mes pensées, parfois oubliant même de me sustenter.

Lorsque ma sœur devint assez grande, quittant la compagnie de sa gouvernante, je retrouvai de mes couleurs et passai le plus clair de mon temps à prendre soin d'elle.

C'est donc cet homme-là que je pleurais ? Qui ternit l'honneur et la réputation de ma famille ? Qui piétina les sentiments sincères de ces deux anciennes meilleures amies ?

Je ne retiens pas mes larmes, empreintes de colère.

— Mademoiselle ? me surprend un domestique. Mélanie est au potager, voulez-vous que nous l'appelions ?

Je n'aurai jamais la force de tout lui raconter. Je me lève pour m'asseoir. Je me force à respirer convenablement, me maîtrise et sèche mes joues avec un mouchoir.

— Non, je m'en vais bientôt. Apportez-moi à boire, s'il vous plaît.

Il revient vite un verre d'eau à la main. Quelques larmes continuent de s'échapper.

La comtesse de Lisière [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant