Chapitre 27

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— Dites à votre maître que je suis prête. 

Le valet s'en retourne, m'ouvre et m'amène à nouveau auprès de ces Messieurs qui finissent de dîner. Je vois une harpe qui s'élève fièrement. Je m'assois donc auprès de l'instrument.

Louis-Alexandre semble être satisfait. On débarrasse la table, pendant que je place mes doigts sur les cordes.

Les regards sont tous posés sur moi. Soudain, il prend congé de ses invités, et il s'approche de moi, et murmure :

— Avant que vous ne m'accusiez de nouveau de haute trahison, sachez que tout ce qui se dit et prépare ici, je m'en lave les mains. Je ne sers qu'à mettre en relation ceux qui ont des intérêts communs, tout cela étant monnayé.

J'ignore si je dois rire, lesdits intérêts communs sont en l'occurrence leur hostilité envers la France !

— Il est vrai que je vendais aussi jusque sous peu des informations, comme le nom d'une maîtresse ou d'un amant, ou des choses plus... sensibles et confidentielles. L'état de nos finances, les expéditions au Nouveau Monde, les ambitions du Roi... Mais n'ayez crainte, non seulement je ne leur disais que ce qui m'arrangeait, mais je pouvais tout interrompre quand cela me chante. Entre nous, je ne doute pas que notre armée soit la plus redoutable d'Europe, et je m'amuse de ce qu'ils espèrent nous voir défaits.

Alors vous voyez, si vous n'avez rien découvert tel qu'un complot, ou une preuve de ma traîtrise, c'est tout simplement qu'il n'en est rien. Je sais que vous enquêtez depuis un moment. Je dois dire que vous avez mal choisi votre partenaire d'enquête...

— Et qui est le Comte de Senoncourt ? C'est ainsi que le Fürst vous a nommé tout à l'heure.

— Il y a encore des choses que vous devez ignorer, Mademoiselle.

— Alors tous les noms, pour certains étrangers, qui figuraient sur cette liste, ce sont vos... clients ?

— On peut dire cela. Par ailleurs, qui vous dit que je ne travaille pas pour la Couronne ? Que je ne suis pas sous couverture ?

— Votre grossièreté peut-être. Je vous rappelle que vous m'avez enlevée et frappée.

Il se redresse, et renoue avec ses airs hautains.

— Ne me faites pas honte, Elisabeth. Jouez. N'essayez pas d'écouter leur conversation, ou du moins que cela ne se voie pas. Je leur ai dit que vous étiez aussi sotte qu'un panier.

Il s'éloigne, prenant à nouveau congé de ses invités.

Je dois me résoudre à jouer pour le bon plaisir d'étrangers que demain nous affronterons sur le champ de bataille...

Je laisse mes doigts agir sans que mon esprit ne les dirige, je me refuse à penser. Je m'enfuis dans les notes et les sons, dans l'harmonie et la texture, dans les mélodies d'abord vives et dramatiques, puis plus mélancoliques, avant de devenir plus enjouées. Ils m'écoutaient au début avec grande attention, puis ma musique n'est devenue que le fond de leur conversation.

La soirée fut longue, mais non sans ennui, j'appréciais malgré tout de pouvoir jouer de la musique - ils semblaient avoir des opinions fort différentes, ils apparaissaient souvent contrariés, se contredisant. S'ils sont à l'image de leurs deux pays, que sont l'Angleterre et le Saint-Empire, et qu'ils se concordent aussi mal, cela ne peut être qu'à notre avantage.

Comment démêler le vrai du faux ? Louis-Alexandre travaillerait-il vraiment pour Sa Majesté ? Je ne le crois pas. Ne me l'aurait-il pas dit plus tôt ? En revanche, je ne lui prête pas l'âme d'un traître... Il semble plutôt jouer un jeu d'équilibriste.

La comtesse de Lisière [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant