[— Il me faut aller à la rencontre de Sa Majesté ! s'exclame-t-il. Attendez-moi. Je reviens.]
Un peu déconcertée, je l'observe s'éloigner, avant de regarder de nouveau cette toile éclairée par un chandelier. Mes yeux s'y attardent ; j'éprouve un tel respect, une telle reconnaissance. Il est dépeint en chef de guerre, son bâton de commandement à la main, il encore porte la moustache de ses jeunes années.
Vous me manquez, Sire. Peut-on avoir de tels sentiments pour son Roi ?
C'est pourtant la vérité. C'est ce que je disais au Marquis de Dangeau ce jour-là à Marly, je ressens qu'il m'offre un regard quasi paternel. Oui, je le sens là, en mon cœur, toute la bienveillance qu'il a eu à mon égard.
J'ai découvert Sire, vos sacrifices permanents, votre vie dédiée au public, vous obligeant à vous mouvoir auprès de cette compagnie hypocrite et flatteuse, vos insomnies, mais aussi vos fins sourires lorsqu'il s'agit de votre petit-fils, et encore plus quand il est question de musique...
J'exécute une révérence profonde et sincère devant ce portrait.
Soudain, Jérôme revient, carte en main, qu'il déroule sur l'imposante table en chêne.
— Et si je monnayais mon retour à une politique de neutralité, celle de mes prédécesseurs ? En échange disons... Voyez. Ce chemin-ci est le plus court et le plus sûr d'atteindre l'Alsace depuis sa position, et il est sur mes terres. Si je permets à ses armées de se ravitailler, d'emprunter cette voie, et que je reste neutre dans cette guerre européenne qui se prépare, se pourrait-il que... Je puisse redevenir pleinement souverain dans mon État ?
On s'échange des sourires de connivence, avant qu'il ne reprenne une mine plus songeuse.
— L'argument suffira-t-il seulement ? Il voudra certainement un moyen de s'assurer de ma loyauté et cette neutralité...
Il ne poursuit pas sa phrase mais je me doute que trop bien de la suite. Ma gorge se noue.
— ... Comme un mariage avec une Princesse française.
— Non, comment pourrais-je accepter que le Roi veuille faire de moi son gendre ou son neveu dans le seul but de mieux m'asservir ?
— Et si cela vous permet de sauver, vous et votre pays, de la guerre ?
Je n'entends pas sa réponse, je n'ai que ce mal-être dans ma poitrine. Je m'en veux terriblement tout à coup.
— Jérôme, je... Je suis désolée, balbutié-je, je regrette mes mots de la veille. Sous la pluie, j'ai été trop émotive, ne vous sentez pas obligé de tenir votre serment.
Pourquoi l'ai-je embrassé ? Pourquoi lui avoir fait jurer de ne pas se séparer de moi ? Si nous ne nous marions pas, c'est certain, nous ne pourrons pas rester amis. Cela ne nous ferait que du mal. Je respire de plus en plus difficilement, me contenant pour ne pas pleurer à nouveau, faible que je suis.
Je le sens désorienté, ses yeux s'écarquillent dans une sorte de peur ou de surprise, avant de froncer les sourcils. Aux domestiques et aux gardes devant les entrées, il ordonne :
— Sortez, tous. Immédiatement.
Tous s'exécutent. Je n'arrive pas à me retenir, j'ignore si cet épisode enfermé m'a rendu encore plus sensible qu'à l'accoutumée, mais je deviens pitoyable, je renifle, les yeux baissés. Je panique.
— Mais enfin, que dites-vous ? Elie, regardez-moi.
Je soutiens à grand-peine son regard. Il reprend :
— Ne pensez pas ainsi. Je trouverai un moyen. A dire vrai, j'ai bien une idée mais je ne suis encore sûr de rien, je ne préfère pas vous donner de faux espoirs...
VOUS LISEZ
La comtesse de Lisière [EN PAUSE]
RomanceFin XVIIe siècle (1680-90) Fille de comte, Élisabeth de Lisière est une harpiste de talent qui reste très affectée par la mort de son père, celui-ci laissant pour seul héritage de lourdes dettes. Attachée à l'espoir de retrouver son meilleur ami d'...