Chapitre 29

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J'ai compris, désormais. Il n'est plus question pour moi de pleurer. Je crois que rien ne peut encore m'effrayer, et qu'aucune vérité ne pourra me blesser comme j'ai pu l'être ces jours-ci.

Je me dois d'affronter la réalité.

Lorsque je suis arrivée à Versailles pour la première fois, je croyais que le monde n'avait que du beau à offrir, je rêvais encore, j'offrais ma gentillesse sans réserve, me gardais de répondre aux méchancetés, et préférais tout subir en silence, convaincue, au fond, que tout n'était que malentendus. Je me trompais moi-même.

Ce temps est révolu.

Après avoir été haïe, jalousée, menacée, frappée, séquestrée, après avoir découvert que ma mère, elle qui m'a enseigné avec tant de vigueur et de sévérité la vertu et l'honnêteté, me mentait sans scrupules ; découvert que mon père, que je considérais et pleurais encore, se révéla n'être que tromperies, et dilapidation, que même mon meilleur ami, que je pensais véritablement connaître, avec qui j'avais grandi, me cachait des choses, la Cour avait fait disparaître l'homme brave et honnête que j'imaginais.

Oui, ce temps est révolu, la vertu et la naïveté sont l'apanage des jeunes filles, qui une fois au milieu de cette société de l'apparence, en sont victimes.

Le monde est cruel. Chacun se bat pour y survivre et y trouver une place, que ce soit celle qui lui corresponde ou celle qu'il ambitionne.

Toutefois, je reste persuadée que chacun choisit de quelle façon il se battra, et avec quelles armes. Pour certains, la fin justifie les moyens, quand d'autres, s'ils existent, se respectent eux-mêmes et autrui, et savent se montrer digne sans être faible. Je veux faire partie de ceux-là.

J'eus énormément de chance que Jérôme ne profita pas de mon innocence. Après tout, il aurait pu facilement se jouer de moi. J'étais hardie et crédule, voire définitivement niaise. Je lui ai offert mon cœur et toute ma confiance au premier regard.

Il s'en est montré digne, il est de ceux qui redonnent foi dans l'humain.

Il est là, en face de moi, dans cette calèche qui avance au trot régulier des chevaux, il observe d'un air absent le paysage automnal qui défile.

Je le contemple un instant. Il sent mon regard et tourne la tête. Je lui souris tendrement. Il me le rend, un peu confus, ignorant tout de mes pensées.

— Merci, duc. Je vous remercie sincèrement.

Ses sourcils se froncent, il doit attendre que je m'explique, mais je reste silencieuse, énigmatique, volontairement. Un peu confus, il se racle la gorge et me dit gentiment :

— Dites-moi lorsque vous vous sentez mal ou fatiguée, nous ferons autant de pauses que nécessaire.

J'opine de la tête, et reporte mes yeux sur le ciel clair, retournant à mes pensées, cette fois-ci plus éparses.

***

On s'est arrêtés dans une clairière non loin de la route, parmi ces grands arbres, nous sommes dans un bain de lumière dorée et rougeoyant. Ici, à ses côtés, j'oublie tout : mes parents, Jules, la situation internationale, la question du mariage, notre différence de rang, il n'y a que le ciel, la terre, et nous.

Et notre escorte.

On a repris la route, je reviens dans mon état de mi-sommeil, mi-éveil, mes pensées divaguant jusqu'à ma mère.

Je la revois, tasse à la main, l'air digne, cette dignité qu'elle s'est efforcée de garder devant les propos de son frère, et l'arrivée inopinée de Jules.

La comtesse de Lisière [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant