Assise devant cette harpe dorée, souriant à l'extrême, j'écoute attentivement le maître compositeur m'expliquer les nuances de ses brouillons de Te Deum, qu'il souhaite réemployer ce soir. Il s'agirait d'un duo, clavecin et harpe. Je le suis dans cette excellente idée.
J'acquiesce à toutes ses directives, plutôt impressionnée, je n'ose faire d'initiatives, jusqu'à ce qu'il me demande mon avis.
— Nous pourrions.. commencer par un solo, et poursuivre avec un autre, qui reprendrait la mélodie.
J'ai pu entendre mes battements de cœur derrière ma voix, il semble considérer la question. Il s'assoit sur le clavecin, les sourcils froncés ; l'attente me paraît insoutenable.
— Essayons. Je vous donne le tempo..
C'est plutôt rapide pour un premier essai, mais je peux y arriver ; je suis plutôt satisfaite.
— Oui, cela rend plutôt harmonieux. Avez-vous d'autres idées à me soumettre ?
Plus que flattée, je m'ouvre davantage, et c'est alors une réelle collaboration entre deux esprits créatifs. Je suis si émue lorsque nous répétons la version finie. Il me faudra encore m'entraîner avant ce soir, mais je crois que cela est possible.
— Et bien Mademoiselle, depuis quand travaillez-vous la musique ? me questionne-t-il alors que nous nous préparions à nous quitter.
— Dès lors que j'ai su lire. Mon père jouait, je voulais pouvoir faire quelque chose avec lui.
Pouvoir le rendre fier, le voir sourire, lui qui avait toujours l'esprit si préoccupé, l'air toujours embêté. Je me démenais et passais des heures entières à m'entraîner parfois, pour une réussite le dimanche avant souper, un sourire sincère de sa part, et ses yeux luisants de fierté.
Je ravale ces souvenirs, pour recroiser les yeux du grand musicien.
— Je vois.. Et bien, sachez que vous êtes d'une grande imagination et cela liée à une bonne maîtrise des rythmes de base. Nous serons amenés à travailler plus régulièrement ensemble. Au plaisir. Ce soir, nous aurons des éloges.
Je me contente d'un hochement de tête comme toute réponse, si bouleversée intérieurement.
Je suis allée retrouver mon meilleur ami, toute heureuse. Il est à son cabinet de travail, où je le vois classifier d'importants papiers.
Je le revois alors, ce blond aux yeux vert doré, lorsque nous avions la même taille. Je le pressais si souvent de m'écouter jouer, encore et encore, toutes ces crises qu'il a subies où j'assurais que je n'étais douée en rien, que j'allais céder.
Il était là.
Affirmant le contraire.
Soutien infaillible.
Je doutais parfois de ses paroles, mais je voulais simplement me laisser y croire.
Mais il ne mentait pas. Il avait raison.
Il s'interrompt dans son entreprise, me voyant figée. Je viens prendre une de ses mains, la serrer et lui murmurer, émue :
— Merci Jules.
— Que t'arrive-t-il donc ? C'est parce que j'ai mis du bleu aujourd'hui ? Je ne l'ai pas fait tout exprès en pensant à toi et à ta couleur préférée.
Que me raconte-t-il ? J'en contiens un rire.
— Ah oui, et cela te sied majestueusement.
Il plisse les yeux, suspicieux.
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La comtesse de Lisière [EN PAUSE]
RomanceFin XVIIe siècle (1680-90) Fille de comte, Élisabeth de Lisière est une harpiste de talent qui reste très affectée par la mort de son père, celui-ci laissant pour seul héritage de lourdes dettes. Attachée à l'espoir de retrouver son meilleur ami d'...