William posa doucement son plateau sur la table et vint s'assoir à côté de moi. Voilà maintenant deux bonnes semaines que je n'avais à peine croisé son regard. Il semblait tellement effacé que sa présence en devenait presque invisible. Sur le coup, je m'en voulus de ne pas m'être plus intéressée à son intégration.
Son regard soucieux me fit baisser la tête vers mon plat. William étant habituellement compréhensif, je pensai enfin pouvoir déjeuner en paix, mais mes vœux semblaient avoir rejoint ma motivation: au fond du trou... Au milieu de la cohue environnante, il me parla de sa voix calme:
"- Je ne t'ai pas vue depuis une semaine. En réalité, personne n'a pu t'approcher sans se faire rejeter."
Il semblait attendre une quelconque réaction de ma part, mais il pouvait encore attendre longtemps.
"- Tu sais, tu penses peut-être être à plaindre, tu as peut-être de quoi être déçue, mais le monde tourne aussi bien sans toi. Toute la semaine, Ariane, Callie et moi avons essayé de t'aborder, mais tu étais apparemment trop occupée par toi-même. Passe à autre chose et vite, ou tu risquerais de terminer cette aventure toute seule."
Ce reproche franchit ses lèvres si rapidement, qu'aucun son ne put traverser les miennes. Mon silence dû le vexer, car il reprit son plateau sèchement et se leva de sa chaise.
"- Je pense que même parler avec ma purée aurait été plus vivant. Tu n'es pas la seule à rencontrer des problèmes, en ce moment, sache-le. Je vais retrouver Ariane à la table d'à côté. Et au fait, j'ai eu le lion, si ça t'intéresse."
A peine William eu-t-il tourné le dos que je me remis à me frictionner l'épaule gauche. Un réflexe que j'avais commencé à avoir, mais dont je ne savais toujours pas à quoi il pourrait m'avancer. Frotter mon bras jusqu'au sang n'effacera toujours pas mon rat. Les bras à nouveau immobiles le long du corps et le regard dans le vide, je me mis à repasser le monologue de William en boucle dans ma tête. D'habitude si gentil et réservé, il m'avait sorti toutes ces choses si facilement, que je me mis à penser que ses remarques étaient en fait celles de tout le monde. Mais par-dessus tout, elles étaient vraies. Egoïste, voilà ce que j'étais devenue.
Pourtant, avec plus de recul, je savais encore mieux que les autres que ce que je faisais était plus que ridicule. J'agissais comme une enfant à qui on aurait refusé l'entrée à Disneyland. J'assistais aux cours de sport sur le banc en regardant les autres tomber un à un sur l'estrade et je suivais les différents cours en amphithéâtre au fond de la salle, seule en train de réfléchir à un plan d'évasion impossible.
Si je ne portais plus attention à personne; c'était pour tout d'abord me comprendre, moi, et éclaircir mes idées. Une partie de mon ego était noyé sous la honte, mais une autre partie me suppliait de remonter à la surface. Malheureusement, aucune bouée de sauvetage n'avait été jetée à l'eau, et je coulai de plus en plus dans cette mer de confusion. La remarque de William me fit comme l'effet d'une main me replongeant la tête sous l'eau.
Mon plat encore entier, je me levai et sortis de la cantine en jetant un dernier regard à William en train de rire aux éclats face à Ariane, sûrement due à une des vannes extravagantes de celle-ci. Les voir rire ainsi fit apparaître un léger sourire sur mes lèvres, très vite effacé par les regards curieux qui suivaient tous mes faits et gestes. Cela avait beau durer depuis une semaine, être au centre des discussions me mettait toujours aussi mal à l'aise.
Arrivée la première au dortoir, je pus enfin enlever ma combinaison qui me serrait tellement depuis ces derniers jours. En débardeur et sous-vêtements, je passai devant la glace en évitant soigneusement de croiser mon regard. Avec des cernes violacés et le teint blafard, je ne ressemblais vraiment plus à rien. De pauvres mèches claires sortaient de ma queue de cheval faîte à la va-vite et retombaient autours de mon visage creusé par la fatigue et la pression.
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Sur une autre planète
Science Fiction"La vie sur Terre est un combat permanent pour ne pas sombrer, mais je ne pensais pas que la vie sur Vivia en serait un nouveau, tout aussi différent..." Depuis mon arrivée sur Vivia, planète qui m'était jusqu'à maintenant inconnue, je redoute chaqu...