- Esmée -

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La fraîcheur de la pièce me faisait frissonner, et j'enroulai mes jambes entre elles pour retrouver un peu de cette chaleur réconfortante. L'ampoule attachée au plafond illuminait faiblement la table autour de laquelle j'étais assise, en face de mon parrain. Celui-ci m'observait, ses yeux me transcendaient à la recherche d'un quelconque sentiment qui pourrait m'habiter. Mais mis à part cette sensation de malaise, il ne pouvait rien trouver d'autre. Et celle-ci, il la connaissait déjà bien. 

Dès que je croisais son regard d'un marron aussi clair que le miel, ou ses traits tirés par l'âge, mes poils se hérissaient le long de mes bras. Mon coeur accélérait un peu plus, alors que mon souffle se bloquait un instant. Beaucoup disaient que nous avions les mêmes yeux, et c'était vrai. Ce brun doux et clair qui les rendaient lumineux au moindre rai de lumière. Mais ce détail était la seule chose qui permettait de dire que nous partagions le même sang. Autrement, nous pourrions être pris pour de parfaits inconnus. 

Mais malgré son regard hypnotisant, la partie manquante de son nez le rendait terrifiant, presque repoussant. Une "gueule cassée", voilà ce qu'il était. Une personne démolie par la guerre, une personne où l'on pourrait apercevoir ses séquelles jusqu'à la fin de ses jours.

"- Donc, Esmée, je répète..."

La remarque de Franck, mon parrain, me tira de mes contemplations, et je me remis à l'écouter, d'une oreille plus qu'attentive. Voilà maintenant plus de trois mois que nous répétions à n'en plus pouvoir, mais je le laissai à nouveau user de sa salive:

"-Quand je vous préviendrai, un soldat te fera monter dans un vaisseau dans la plus grande des discrétions, et vous devrez être partis dans une intervalle de dix minutes. Après ça, les gardes recommencent leur ronde, et à ce moment là, vous ne pourrez plus décoller. C'est bien clair ?"

J'acquiesçai. Comme à chaque fois qu'on me parlait de cette mission, mes mains commençaient à transpirer, et je les essuyai une nouvelle fois sur mon pantalon.

"- Le voyage durera plus de cinquante minutes, et une fois arrivée, tu devras sortir et te mêler dans la foule. Tous les recrutés seront présents, et normalement, tu atterriras au même moment qu'eux. A partir de ce moment, tu fais partie d'eux. Tu deviens une recrutée."

Devant son regard déformé par la concentration, je plissai les yeux et affirmai d'un hochement de tête. Je savais tout ça.

"- Puis, tu devras te débrouiller seule. Le soldat repartira, tu accompagneras tous ces nouveaux, et chaque soir, tu nous ramèneras des informations.

- Tout...

- Absolument tout. De la plus petite embrouille au plus grand changement. Tout ça nous aidera à choisir le moment le plus propice pour déclarer la guerre."

Ce mot résonna dans mes oreilles, et mes doigts commencèrent à nouveau à glisser sur mon pantalon. Je n'étais absolument pas prête à faire tout ça. J'avais peur, j'étais terrifiée depuis le jour où on m'avait dit que je devrais m'infiltrer sur une autre planète. Cela faisait six mois... Tout ça me paraissait si court, maintenant que le jour J se comptait en heures. 

La main acérée de mon parrain s'enroula sur mon épaule, et ce poids me fit sursauter.

"- Tout repose sur toi, Esmée.

- Merci de me le rappeler, répondis-je d'un air ironique."

Malgré tout, une pointe d'angoisse persistait dans ma voix. Celle-ci n'était jamais partie, depuis que j'étais consciente de ce que j'allais devoir faire.

"- Mais j'ai confiance en toi. Je sais que tu en es capable, et je n'attends que le moment où tu reviendras ici, pour te décorer de la plus grande médaille qui puisse exister."

Sur une autre planèteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant