Prologue

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Je marche dans la nuit. J'ai froid et j'ai faim. Dans mes bras dort ma petite sœur, si petite et si fragile que j'ai peur de la briser. Elle est plongée dans le sommeil mais je sais qu'elle pourrait se réveiller au moindre bruit. Tout comme mon autre sœur, sanglée dans mon dos. Elle aussi s'est endormie, après m'avoir encouragée pendant longtemps. Elle est lourde, mais je n'ai pas le choix.

Je continue à marcher dans la neige. J'ai mal au dos, aux jambes et aux bras. Le bébé que je porte serré contre moi geint, et je prie pour qu'elle ne pleure pas. Je dois marcher. J'entends la voix de ma mère : "Encore un effort, Finwë". Finwë, ce n'est pas mon vrai nom, mais il me correspond, à cause de mes boucles couleur caramel, presque miel.

Mes pieds frappent le sol en rythme. Fin-wë, Fin-wë. À mon surnom vient s'ajouter le prénom de ma sœur : Earine. Puis celui du bébé que je tiens au chaud contre moi : Nessimelle. Fin-wë, E-a-rine, Ne-ssi-melle. Marcher, encore et encore.

Mon souffle s'élève en une colonne de buée vers le ciel étoilé, et ce moment est trop beau pour que je doive le vivre seule. Je retiens mes larmes, je dois être courageuse, comme Nana me l'a demandé.

Marcher encore et encore dans le noir. J'ai si peur que mes muscles en sont presque tétanisés. Je n'ose pas relever la tête de crainte de m'apercevoir que mon objectif est encore à des kilomètres. La neige ralentit ma progression mais j'ai peur d'appeler à l'aide. Ils pourraient m'entendre.

J'ai toujours aimé la neige. Ada nous y faisait piquer une tête et on avait mal au ventre à force de rire. Earine pouvait courir partout pendant des heures, chose complètement improbable pour une si petite fille.

Je renifle et me rends compte que je ne suis plus qu'à quelques mètres de la chaumière vers laquelle je marche. Encouragée, je redouble d'efforts, ma capuche bordée de fourrure menaçant de tomber.

"Partez," a dit Nana quand ils sont arrivés. "Oubliez vos origines. Vivez chez les hommes. Soyez courageuse. Je vous aime."

Nessimelle babille dans mes bras. Earine ronflote. Je marche dans la nuit. Maintenant, je suis une humaine. Alors j'ai cinq ans et demi.

Publié le 27 mars 2019

Trois paires d'yeux... BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant