Jusqu'à ce que le Soleil réduise tout en cendres

Chapitre 2 - D'étoiles et de déséquilibres

Royaume du Néant, quelque part au-dessus de l'océan de Draeh.

*•*•*•*

L'endroit résonnait. Il vibrait. Les couleurs et les sons s'entremêlaient. Elle se tenait au centre de la cavité de calcaire qui flottait dans les nuages. Elle aussi, flottait. Ses cheveux, sous l'effet des lois mystérieuses qui régissaient le Royaume du Néant, avaient atteint une longueur démesurée. Une quinzaine de mèches s'étiraient du crâne de la Gardienne, traversaient l'espace de part en part et s'accrochaient aux parois brutes. Humidité. Puissance.

Contre les parois, des sonorités aux mille accents résonnaient. Ces voix venaient des terres du Nord, du sud, des plaines de l'ouest, des montagnes de l'est... Elles chantaient. Elles rappelaient que leurs corps n'étaient plus mais leurs âmes, elles, étaient éternelles. La Gardienne chérissait ces voix, elle les nourrissait. Son énergie se déversait dans le royaume comme un torrent lors de la fonte des neiges.

Maîtresse du monde des morts, elle envahissait chaque recoin habité de poussière nacrée. L'envoyée de la Lune colorait les murs de son repaire selon ses humeurs, bleu roi un jour, corail le lendemain, écarlate le temps d'une nuit. L'énergie se déversait, chaque âme recueillie lui apportait quelque chose de nouveau. Et alors elle créait. Des nappes de couleurs ; des teintes de sons.

Là-haut, trouver son équilibre n'était pas chose facile. Mais cela, la Gardienne n'en avait cure. Elle était en charge, elle avait le pouvoir, elle décidait. Ses pieds nus survolaient toujours le sol de quelques centimètres et les longs voiles dans lesquels son corps était drapé voletaient autour de ses chevilles en toute liberté. Un regard extérieur aurait pu la croire prisonnière. Enchaînée à son lieu de résidence par ses propres cheveux, enfermée dans la pénombre de cette frontière entre deux mondes où la seule loi était qu'aucune loi ne s'appliquait plus, elle était dépendante du Néant.

La nuit avait pris la Lune en otage. Jalouse du Soleil, peut-être, elle réclamait pour elle seule sa fille argentée. Maygheard, comblée par ce parent trop longtemps perdu, de retour dans le ventre de sa mère, s'épanouissait. Du moins était-ce le cas de son énergie... Elle se sentait plus vivante que jamais. Ses yeux, dont l'intensité du vert restait gravée dans la mémoire éternelle des âmes qui croisaient son chemin, semblaient à la fois animés d'un feu immortel et vides.

Les vibrations qui peuplaient la cavité ralentirent. Le corps de la Gardienne réagit dans l'instant, une nouvelle venue s'était annoncée. Il s'immobilisa, ses bras s'écartèrent de sorte à encourager le passage de l'énergie lunaire et il attendit que l'âme fasse son entrée.

Les couleurs s'intensifièrent, la musique résonna plus fort et la poussière nacrée s'envola dans un nuage scintillant lorsque l'immense porte du domaine se souleva, le contact de la pierre contre la pierre crissant jusqu'à assourdir tout le royaume.

Première surprise pour la Gardienne, l'âme était d'une grande jeunesse. D'une trop grande jeunesse. Deuxième surprise, le mélange d'odeurs boisée et charbonnée qui emplit l'atmosphère révélait que l'âme s'était sacrifiée.

Lorsque l'énergie de l'âme eut traversé les portes et que celles-ci se furent refermées dans un même crissement, la Gardienne ramena ses mains devant elle en forme de coupole, ferma les yeux et prononça une formule dans une langue qu'elle n'avait jamais apprise mais qui flottait sur ses lèvres comme si elle était née avec.

Un arc de lumière jaillit de son corps et l'âme émit une odeur apeurée, sel et fleur d'oranger, alors que le rayon l'atteignait et la remplissait de matière. L'âme prit peu à peu la forme d'un garçon, d'un adolescent qui semblait à peine plus vieux que la Gardienne, quoique depuis qu'elle avait pris ses fonctions, elle semblait sans âge. Les paupières de cette dernière se soulevèrent alors et les aimants verts qu'elles protégeaient entrèrent en action.