Dans le village aonghasien de Saahnan, sur la côte, à l'ouest du Dashgaïh.
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La brume accrochée au rivage rendait notre opération difficile. L'air humide combiné à la nuit ambiante nous empêchaient de voir où nous posions les pieds dans le sable instable. La sueur perlait sur nos visages, imprégnait nos vêtements, nous collait à la peau. Remorquer ce bateau n'était pas une mince affaire.
La veille, après trois jours et trois nuits indissociables passées à Saahnan, le village aonghasien que nous avions fini par rejoindre, Eben s'était engagé dans une longue conversation avec Tii, le sorcier qui avait eu la gentillesse de nous héberger, mes amis et moi, le temps que l'on trouve un moyen de prendre la mer. Le ton était monté, leurs joues s'étaient colorées et leurs mains agitées en tous sens, jusqu'à ce que les épaules de l'aonghasien s'affaissent et qu'il serre la main d'Eben, vaincu. Il nous prêterait son bateau et nous accompagnerait sur les îles de Heard.
Melwyn et moi avions écarquillé les yeux, nous avions du mal à mesurer notre chance.
Notre hôte devait avoir quelques années de plus que moi tout au plus. Il était pêcheur, à l'instar de son père et de son grand-père avant lui, et avait un rire franc lorsque l'on savait le dérider. Un peu comme Eben. Il nous avait nourrit avec son poisson qu'il cuisinait avec des herbes de la plaine et une soupe dont il s'était avéré impossible de connaître les ingrédients, tant Tii les gardait jalousement secrets. J'avais eu l'impression de n'avoir jamais aussi bien mangé de toute ma vie. Mais peut-être était-ce seulement l'effet de la nuit éternelle, elle qui atténuait toute saveur, tout paysage, toute émotion, tout.
Tii avait trois poules et un coq qu'il chérissait autant que ses proches. Il nous conta en les caressant tour à tour au coin de sa cheminée comment son village avait survécu à la disparition du soleil. Les anciens s'étaient réunis sur le point culminant de la région, une petite colline à quelques kilomètres de là, et avaient contemplé le ciel s'obscurcissant inexorablement, les nuages s'amoncelant au-dessus de leurs têtes tandis que l'astre argenté perçait à travers eux et mangeait peu à peu le ciel, l'illuminant malgré lui.
Cette nuit-là, nous raconta-t-il, tandis que les messagères, les sorcières chargées de relier les différents villages de la côte, effectuaient d'incessants va-et-vient pour que les chefs se tiennent informés, les hommes priaient dans les maisonnées et récitaient incantation sur incantation pour protéger leurs enfants, leurs maisons, leur avenir de la catastrophe qui s'abattait si soudainement sur eux.
Avec ses amis, Tii avait sorti les bateaux de l'eau et les avaient garés contre les maisons les plus proches du rivage, dans l'espoir qu'ils ne seraient pas trop amochés si le temps venait à se dégrader. Leurs prédictions se révélèrent justes et le village essuya au cours des semaines qui suivirent des tempêtes d'une intensité jusqu'alors inégalée. Les bateaux les plus fragiles furent détruits et les autres permirent tout juste aux pêcheurs de fournir du poisson, seul réel moyen de subsistance de la population du village.
— Attention, à trois on tire un grand coup et tout le monde saute à bord ! cria Charly.
Je me reconcentrai sur ma tâche et accrochai une dernière fois mes mains gelées et pleines d'ampoules à la corde épaisse qui nous servait à déplacer le bateau de Tii.
— Un... Deux... Melwyn !
Mon regard quitta la corde pour chercher mon amie malgré la nuit et la brume.
— Je suis là ! cria-t-elle au-dessus du raffut des vagues. Mes pieds ont glissé. Pardon. Je suis prête.
— On recommence, ordonna Charly. Un, deux, trois, tout le monde à bord !
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Jusqu'à ce que le Soleil réduise tout en cendres
Fantasy/!\ Ceci est un deuxième tome. Afin d'apprécier l'histoire au mieux, il faut lire le premier (JL) d'abord. /!\ Tout a disparu derrière la Lune. Le soleil, la chaleur, la lumière... disparus. Tout ce qui était source de vie n'est plus. Avec l'éveil d...