Chapitre 19-1 - De canines protubérantes et d'agrumes

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Quelque part dans le dédale des souterrains du C.I.S.I. au nord du Dashgaïh.

*•*•*•*

Zed commençait à s'inquiéter. La situation empirait de minute en minute, il avait presque l'impression d'être dans l'un de ces jeux questionnables que les humains inventaient pour se distraire, dans lesquels ils risquaient leur vie et nommaient la « télé-réalité ».

Cahan avait vraiment disparu. Comme ça. D'un coup. Sans laisser de traces. Il allait faire une crise de nerfs.

Et l'heure tournait.

— Il nous reste seulement deux heures, annonça Spoty pour ne rien arranger.

Zed soupira.

— Pas l'temps d'essayer de comprendre ce qu'il s'est passé alors. Il faut qu'on avance.

Spoty n'aimait pas cette idée mais il n'avait pas d'autre choix que de suivre l'Inné, sans qui il n'était pas certain de pouvoir sortir de cette tombe vivant.

Soudain, le Voleur d'Âme à l'origine du chaos sans nom dans lequel les deux sorciers étaient plongés se matérialisa au bout du couloir, face à eux. Zed retint un cri d'effroi et la respiration de Spoty se bloqua. Il ne pouvait pas se rendre compte du vide qu'inspiraient les yeux dépourvus de pupilles du monstre, ni la terreur que procurait l'apparition spectrale mais il ressentait son énergie. Et c'était suffisant pour lui faire peur.

Le flux énergétique de la créature était un tourbillon de chair moisie et de rêves brisés, de rouge pivoine et blanc cassé. Couleur du deuil. De la souffrance. Et de la soif.

Le monstre avait soif. Soif d'âmes.

— Tu sais comment sont censées nous protéger les larmes de Soleil ? demanda Spoty.

Sa voix tremblait. Les cris du Voleur étaient assourdissants. Il se rapprochait des sorciers bien trop vite à leur goût.

— Aucune idée, haleta Zed, mais ça m'étonnerait que leur pouvoir fonctionne...

— On fait quoi ?

— On tente le tout pour le tout. Donne-moi ta main. A trois, on court. Un...

— Mais t'es malade ! hurla Spoty.

— Deux... Trois !

Sans laisser à Spoty le loisir de remettre en question sa décision hâtive, Zed emporta le garçon avec lui et ils s'élancèrent dans la gueule du loup. C'était de la folie à l'état pur, mais peut-être aussi le seul moyen de s'en sortir. Une graine d'idée avait germé dans la tête du sorcier et il comptait bien lui donner sa chance.

Après tout, Zed ne faisait que rendre la monnaie de la pièce à Spoty. Lorsque ce dernier l'avait tiré de force dans l'eau pendant l'attaque des sphrothys, Zed aussi avait considéré cela comme étant suicidaire. Alors cette fois-ci, c'était à Spoty de faire confiance au porteur de Mars. Et peut-être qu'à l'instar de la dernière fois, ils s'en sortiraient.

Les garçons n'étaient plus qu'à quelques mètres du monstre. Plus que quelques centimètres. Spoty ne parvenait plus à réfléchir tant sa peur et la violence de l'action paralysaient son cerveau. Ce devait être la première fois que celui-ci lui faisait défaut. Mais qu'importe, il n'arrivait même pas à s'en soucier. Le Voleur était là, devant eux. L'énergie vile du monstre lui donnait la nausée.

Zed accéléra le rythme et se persuada que son intuition était bonne. Il le fallait. Parce que la chauve-souris aux ailes déployées, immenses, qui lui faisait face n'aurait aucune pitié s'il se trompait. Des canines protubérantes rouge sang semblaient le narguer tandis que les yeux dépourvus de pupilles le défiaient de s'approcher plus près.

Jusqu'à ce que le Soleil réduise tout en cendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant