Chapitre 20-1 - D'une fête du Soleil et d'un soleil vide

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Prêt d'un village aonghasien, sur la côte de l'océan Heard, à l'ouest du Dashgaïh.

*•*•*•*

            Une vague de soulagement intense avait déferlé dans mon cœur lorsque nous avions quitté les méandres hostiles des marais. Après être descendus du pont de glace en silence, Melwyn s'était étirée, Eben avait retiré ses chaussures et j'avais esquivé du plus que possible le regard de Charly.

Entourés de nos pas crissant dans la poudreuse, accompagnés par de rares piaillements d'oiseaux, nous avions traversé une forêt de pins et de cèdres avant de débarquer en fin de journée sur une plaine qui s'étalait à perte de vue. Eben avait suggéré que nous rebroussions chemin pour coucher dans le bois et se protéger des prédateurs. Melwyn et moi récoltâmes des branches et des feuilles de buissons d'Heitnai. Infusée en tisane, cette plante permet une digestion aisée et un sommeil facile. Et surtout, son goût sucré était devenu bien rare dans cette nature atrophiée.

— J'ai besoin d'aide, m'interpela Melwyn.

Les mains pleines de feuillages, elle peinait à couper une dernière branche. Abandonnant derrière moi l'arbuste avec lequel j'étais occupée, j'accourus prêter main forte à mon amie et d'un geste leste, la libérai du piège où elle s'était fourrée. Melwyn soupira, me sourit et s'en fut rejoindre les garçons au campement pour déverser son chargement.

Quelques instants plus tard, je la rejoignis et nous nous attelâmes à la préparation du repas.

— Tu me passes ton couteau ? demanda Charly à Melwyn.

Elle obtempéra sans un mot et le sorcier entreprit de tailler une lance dans un morceau de bois effilé.

— Pas assez pointu, observa Eben. Tailler plus long.

Il extirpa la lance des mains de Charly, ainsi que son couteau et démontra comment tailler le bois.

— J'ai compris, acquiesça Charly après un moment.

Son ton était d'un sérieux à rendre triste. Je me demandais quelles pouvaient être les causes de sa mélancolie passagère. Peut-être regrettait-il déjà les montagnes qu'il chérissait tant. Mais je ne me sentais toujours pas prête à le confronter et le lui demander en face, alors je me complaisais dans mes suppositions.

Avec sa lance, Charly traqua des rongeurs qu'il repérait grâce à son détecteur de chaleur interne et quelques heures plus tard, autour d'un feu agité, nous partageâmes un maigre repas.

Grâce à la position des étoiles, nous savions que l'arrivée sur la côte n'était plus qu'une question d'heures. J'avais hâte que ce fut le cas. La tête pleine de ces pensées, je balayai le sol de mes mains pour en chasser les énergies sombres, posai ma tête contre mon sac à dos, prête à entrer dans un sommeil réparateur et fermai les paupières.

Après sept heures agitées passées dans le monde des songes, chacun émergea de sa couchette de fortune, se passa la gourde d'eau pour boire un coup et se débarbouiller le visage, pour finir de se réveiller. Nous avalâmes quelques bais, le reste du lard de la veille et entamâmes le chemin de la journée.

Selon Eben, en suivant une constellation ressemblant plus ou moins à un cygne, nous atteindrions un village côtier de sa connaissance. Il avait été reconstruit après la famine qui précipita le royaume d'Aonghasa dans sa chute, à l'instar d'une dizaine d'autres bourgs.

Eben considérait ces villages comme les ruines du royaume, Melwyn comme leur renaissance. Charly se garda de donner son opinion et je me contentai de retenir les propositions de chacun, en bonne observatrice que j'étais. 

Jusqu'à ce que le Soleil réduise tout en cendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant