Jusqu'à ce que le Soleil réduise tout en cendres

Chapitre 32 - D'une question déstabilisante et de jalousie

Je me tenais debout, les pieds ancrés dans le sol. Je pouvais visualiser mes racines parcourir les entrailles de la terre, j'y étais solidement arrimée. Face au volcan, et surtout, aux arbres inertes qui croupissaient dans cette plaine sans vie, je dominais l'île d'une force et d'une détermination sans faille.

Encore une fois, je m'éveillai dans un sursaut. Mes songes étaient devenus si rares que je les confondais parfois avec de simples rêves lorsqu'ils me faisaient la faveur de se montrer. Mais celui-là en était un, j'en étais presque certaine, parce qu'il revenait sans cesse depuis plusieurs jours.

Je devais avouer que je me sentais un peu déstabilisée. J'avais pris l'habitude, sous la tutelle de Feuille d'Automne et de Madame Kletter, de toujours me fier aux messages que contenaient les Songes. Leur guidance m'avait aidée bien des fois. Mais à cet instant, au milieu de la nuit, du froid, sur cette île si éloignée de tout ce que j'avais connu jusque-là, menant une vie de sauvage, je ne savais plus si j'avais le droit de les écouter. Je ne me sentais plus légitime. Et ce tiraillement me minait le moral.

— Lumia ?

J'avais peur que la grande sorcière ne m'ait pas entendue, mais mes doutes s'évanouirent lorsqu'elle détourna son regard auparavant vissé sur Spoty et Heïna pour me sonder de ses yeux hypnotiques.

— Ethel, que me vaut ton attention ?

Un sourcil haussé, elle semblait sur la défensive. Je déglutis de travers. Les forces que j'avais tenté d'assembler pendant des jours paraissaient sur le point de m'abandonner. Pourtant il fallait que j'affronte mes craintes.

— J'ai une question à te poser.

— Tu as l'air, oui. Et ?

Les mots se mélangeaient dans ma bouche, c'était comme s'ils tentaient tous d'être le premier à sortir. Résultat, je ne savais pas quoi dire. Je fermai les yeux et expirai, excédée par mon manque de courage. Je pouvais le faire, il fallait que je le fasse, j'en étais capable.

— Lumia, est-ce que, parfois, tu te sens attirée par ton pouvoir ?

La sorcière fronça les sourcils en me dévisageant, le regard impénétrable.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Presque sans en prendre conscience, je triturai mes cuillers pour tenter de calmer ma nervosité et assembler deux-trois pensées cohérentes dans ma tête.

— Je me demande simplement si... il t'arrive d'avoir des intuitions, des sortes de pulsions liées à ton pouvoir.

Lumia plissa des yeux et pencha sa tête.

— Pourquoi voudrais-tu savoir une chose pareille ? C'est super intime comme question.

— Je sais, je m'excuse, je ne voulais pas t'importuner. Oublie.

J'allais déguerpir et me cacher le plus loin possible dans la forêt pour que Lumia ne me retrouve jamais, mais la porteuse de Saturne m'attrapa l'épaule et me força à m'arrêter. D'un geste brusque je me dégageai de son contact brûlant et elle leva les mains en signe de reddition. Elle ne me voulait pas de mal, c'était déjà ça.

— Désolée, Ethel. Je, heu, je sens que tu ne me posais pas juste cette question en l'air.

Je la scrutai un instant avant de hocher la tête.

— Exact, soufflai-je. J'ai à nouveau des songes depuis que nous sommes sur cette île. Et ils m'ont soufflé une idée pour... faire avancer la mission. Mais je ne suis pas sûre de vouloir m'en servir.

— Pourquoi ça ? C'est idiot.

— Non ce n'est pas idiot, murmurai-je. C'est prudent. J'ai peur que mon énergie n'ait été trop altérée par... tout ça, tu vois. Et que par conséquent, mes songes ne veuillent plus rien dire. Ou pire, qu'ils soient influencés par le Néant.