Nocturne - Jaden - Tome 1

19

Huit heures ! La partie sombre de mon esprit était déjà en marche, prête à élaborer son plan. Mes baskets neuves foulaient le sable fin de la plage en de petites foulées. Le ciel était noir, il s'accordait parfaitement à mon humeur du jour. Des gouttes de sueur coulèrent, le long de mes tempes, l'air était suffoquant, mais je continuai de courir. Les sourcils froncés, je souriais. Ils devaient tous m'attendre au studio et j'allai me faire un malin plaisir de les faire attendre encore. J'avais pris soin de couper mon téléphone, de toute façon, je n'en avais aucune utilité, hormis pour Eden.

Lorsque j'arrivai à hauteur de la maison en bois de Jarod, je vis sa voiture noire garée sur le trottoir. Je ralentis et pénétrai dans l'allée sans y prêter attention. J'ouvris la porte et trouvai Jarod assis dans le canapé, une tasse de café à la main. Après tout, il était chez lui.

-Il est neuf heures, Jaden.

Jarod posa la tasse sur la table, et se cala dans le fond du canapé posant sa cheville sur son genou. Il n'avait pas l'air en colère. Il accusait le coup de mon retard et je me doutai qu'il savait que je l'avais fait exprès. Mais je n'en avais rien à faire. Il craquerait avant moi, je savais être tenace et con aussi.

-J'avais besoin de faire le vide dans ma tête.

Ce qui n'était pas totalement faux, étant donné que j'allai devoir me transporter dans un monde que je ne connaissais que trop bien. Mais, surtout dans lequel je n'avais pas envie de retourner. Je pris une bouteille d'eau que je vidais quasi d'une traite.

-Je prends une douche et j'arrive.

-Prends ton temps, les gars répètent quelques morceaux à eux.

Je filai sous la douche. Je faisais le malin, mais j'avais cette boule au ventre depuis que j'étais parti de chez lui la veille. J'avais ruminé toute la nuit. Eden n'était pas venu me voir comme elle l'avait prévu. Il y avait du monde au bar et elle avait donné un coup de main à Stan. Et quelque part cela m'avait arrangé, j'avais eu besoin de me retrouver seul et ça repoussait un nouveau, tête à tête avec elle. Je savais que la décision que j'avais prise était stupide, et qu'elle allait me prendre beaucoup de temps et il avait fallu que j'ajoute Eden à tout ce merdier. Je devais mettre les choses au clair avec elle avant de lui faire du mal.

Pas de relation. Pas de sexe. Rien.

*****

J'étais assis autour de cette table ronde, les carnets, que j'avais noircis, ouverts dans les mains de Jarod. Les gars du groupe étaient là aussi, assis dans le canapé et les fauteuils qui habillaient la pièce, ils discutaient de leur répétition qui avait eu lieu un peu plus tôt. Victor, lui était au téléphone depuis mon arrivée, il avait quitté la pièce.

-Celle-ci, dit Jarod en poussant le carnet vers moi, elle est parfaite.

Je lus le titre du texte qu'il avait choisi, Relive, je grimaçai. Il avait fallu qu'il choisisse, celle qui allait me mettre à nu. Celle où je révélai mon envie de remonter sur scène alors que j'en étais incapable, celle où je disais que j'en voulais à Loan car, c'était de sa faute. Je n'avais pas pensé à en éliminer quelques-unes quand j'avais pris mes carnets en partant.

-Non, une autre. Celle-ci est trop... Personnelle.

-Justement, elle est parfaite. Tu as une idée de la musique à mettre dessus ?

-Non, ça, c'était le boulot de Loan et Elie.

-Je suis sûr que Ash va trouver un truc.

Je me crispai à l'entente de son prénom. Je n'avais aucune envie de travailler avec ce mec, et pourtant, je n'allai pas avoir le choix, du moins jusqu'à ce que tout explose et que Jarod s'aperçoive de son erreur. L'ambiance dans cette pièce de repos était étrange, tendue et calme à la fois. Je n'étais pas à l'aise, il manquait quelque chose. J'observai les quatre mecs, ils se chamaillaient gentiment et je me revis avec Loan, Tommy et Elie. Des brides de souvenirs de nos débuts me revinrent, nous étions insouciants, libres, heureux. On allait en cours, mais on avait qu'une hâte, retrouver notre hangar mal insonorisé et où le son était d'une qualité horrible. Mais on s'en foutait, on faisait ça pour le fun, pour épater les filles. Jamais, on n'aurait pensé un jour monter sur scène à Manchester devant une foule de fans déchaînées. Ça avait été impressionnant la première fois, la deuxième aussi d'ailleurs. Mais on s'éclatait. C'était il y a trois ans, et c'était à partir de là que Loan avait commencé à se droguer.