Les préparatifs parurent longs et courts à la fois. L'effervescence des autres filles, l'atmosphère électrique... Carine faisait des allers-retours jusqu'au rideau, commentant l'affluence, les notables de la région, le moindre détail qu'elle glanait en glissant un œil entre deux plis du lourd velours nous était conté. Plus tard, je compris que c'était sa manière à elle d'évacuer le stress.
- Tous les candidats sont venus faire le beau.
- Tous... Ian Landry est là aussi ? demanda June.
- Oui, pourquoi ? Tu as des vues sur lui ?
- Non, répondit-elle en lançant un bref regard au reflet de Roxane. Simple curiosité.
- De toute façon, quand bien même, la seule à pouvoir chopper le futur maire, c'est Iris.
- Mais... ! Mais mais mais ! bredouillais-je en rougissant. Qu'est-ce que vous racontez ?
C'est vrai que c'est pour ça que je suis là techniquement... Mais dit de cette manière, c'est juste tellement... Yerk ! Je veux le chopper pour qu'il aille en tôle, pas pour... Enfin, hors de question de faire un aveu pareil,ça ferait sauter ma couverture direct.
- Quoi, tu voudrais pas ? s'étonna innocemment Carine.
- Je sais même pas à quoi il ressemble ! mentis-je en me défendant vertement.
- Au mec le plus riche de la ville.
- Tout le monde n'est pas comme toi, Carine ! rappela Laure en éclatant de rire.
- Bon, les filles, j'espère que vous êtes bientôt prêtes, le spectacle commence dans cinq minutes.
Une vague d'angoisse me submergea, et je ne fus manifestement pas la seule.
- Aaah !
- Bonsangbonsangbonsang...
- Inspire... expire... inspire... expire...
Je ne suis pas habitué à cette forme de stress, je suis censé faire quoi moi ?! pensai-je, sentant mes mains trembler malgré moi. Alors que j'avais déjà affronté des chimères, des tueurs en série et des Homonculus sans broncher, une partie de moi était tentée de s'enfuir en courant face à la foule qui nous attendait.
L'idée que Ian Landry, cet homme à l'aura carnassière, soit dans la pièce et me voie sur scène avait tout pour m'angoisser. C'était notre déclaration de guerre. Et s'il ne mordait pas à l'hameçon, j'aurais fait tout ça pour rien ? Après toutes ces humiliations et tous ces moments pitoyables que j'aurais voulus effacer définitivement de ma vie, je refusais cette idée, et pourtant, enfoui très profondément, subsistait l'espoir que ça soit le cas.
Mais j'avais tenté de transmuter ma mère, j'avais vécu seul avec mon frère sur une île sans l'aide de l'alchimie, j'avais affronté le regard de Nina transformé en chimère, Barry le Boucher, un jury de militaires, la haine de la population, les yeux violets d'Envy... Je devais bien être capable de faire ça.
Tandis que Mike faisait l'annonce au micro de l'autre côté des rideaux, je serrai les poings, résolu à ne pas me laisser effrayer par un vulgaire bout de parquet. Après tout, la scène, ça n'était rien que ça, des planches de bois éclairées par un spot, n'est-ce pas ? Cette réflexion aurait pu me rassurer, si elle n'était pas aussi fébrilement bousculée par des dizaines d'autres plus ou moins contradictoires.
- Iris, je peux te donner un conseil ? fit Carine en me voyant respirer un peu trop vite.
- Si tu veux... murmurai-je, la gorge nouée.
- Danse juste pour toi.
Je fis tourner sa phrase dans ma tête tandis que marchions vers la scène pour nous mettre en positions. Roxane à ma gauche, Carine à ma droite, je n'étais pas trop à plaindre. Les lumières s'éteignirent, et le rideau se leva dans une obscurité quasi totale tandis que résonnaient les premières notes. Le piano, la guitare, la contrebasse... Je supposai que les musiciens, au pied de la scène, partageaient notre trac.
Ça commence, pensai-je, le cœur battant, en jetant un coup d'œil à Roxane pour vérifier que suivais le rythme des premiers mouvements. L'éclairage montait, faisant disparaître le monde autour de la scène dans une obscurité opaque. Il n'y avait plus que nous neuf, et June éclatante sous les projecteurs.
Je pouvais difficilement cesser de la regarder, silhouette fascinante sous cet éclairage. Il y avait quelque chose de magique dans cet instant, le cœur battant, la présence des autres filles, la fierté qui m'assaillait à chaque instant d'harmonie. Ce qui se passait sous mes yeux était beau, et j'en faisais partie. Le rythme me prenait aux tripes, et c'est d'une voix vite raffermie que je reprenais les cœurs avec les autres. June chantait la mélodie principale d'une voix incroyable, belle et remplie de caractère. Je me souvenais de ma mère qui chantait, elle était pleine de douceur. La grande femme aux cheveux noirs qui dansait devant moi, elle, chantait presque avec colère, une colère élégante, une colère... sexy, sans doute.
Je connaissais tellement la chorégraphie que je pus me laisser un peu submerger par l'instant. Après mon moment de grâce, hier après-midi, j'avais envie de retrouver ce lâcher-prise, ce sentiment de liberté tellement grisant. J'avais oublié la scène, oublié le public, oublié Ian Landry, et j'avais sauté à pieds joint dans un autre monde. Occupé à ma tâche, la fin déboula bien plus vite que je ne le pensais, et tandis que je pris la pose finale, j'entendis un tonnerre d'applaudissements.
Je replongeai dans la réalité,surpris par ce crépitement enthousiaste, ouvrant des grands yeux en réalisant que tout c'était bien passé et que ces applaudissements étaient aussi pour moi. Bien que conscient de n'être qu'un petit rouage du spectacle, je me sentis terriblement flatté, et un sourire irrépressible grignota mes joues. Les gens applaudissaient, pour nous, pour moi, aussi.
L'atmosphère de la pièce était échauffée par l'effort de la danse, les projecteurs, les applaudissements, et j'eus tout à coupla perception de tout ça. J'étais trempé de sueur dans mon costume ; en jetant un bref coup d'œil à Roxane, je vis qu'elle l'était tout autant. Elle m'attrapa la main et me fit galoper vers les coulisses, ne laissant plus que June sur scène.
Je contemplai le reste du spectacle depuis les coulisses, presque avec regret. Non pas que j'avais envie de danser nu devant tout le monde, loin de là, mais ces moments de plénitude que j'effleurais en dansant... Mes meilleures réussites en alchimie ne me rendaient pas toujours aussi béat.
D'ailleurs, contrairement à d'habitude où j'étais souvent tenté de faire des transmutations pour le simple plaisir de l'entraînement, pas une fois je n'y avais pensé depuis que j'avais été embarqué dans cette aventure de cabaret. Il faut dire que le temps nous était compté. Quand Roxane s'assit pesamment à côté de moi, m'amenant un verre d'eau, je lâchai un aveu qui lui amena un sourire.
- Roxane...
- Oui ?
- En fait... je crois que j'aime danser.
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Bras de fer, Gant de velours - Première partie : Lacosta
FanficEdward Elric est envoyé en mission à Lacosta, près de la frontière sud, pour une mission qui s'annonce particulièrement épineuse... séparé de son frère et secoué par les derniers événements, saura-t-il maîtriser la situation et se trouver des alliés...