Chapitre 12 - 5 : Un plan bancal (Roxane)

154 24 0
                                    


Iris s'était redressée de toute sa petite taille, debout sur le lit, et rouait Ian Landry de coups en crachant à pleins poumons toutes les insanités dont elle était capable. Le visage cramoisi de colère, les menottes cassées pendaient à ses poignets, cliquetant au moindre mouvement, et la manière dont elle distribuait des coups de pieds à l'homme, le jetant à bas du lit était terrifiante. Le contraste entre sa tenue de jeune fille sage et la violence de son comportement rendait la scène totalement invraisemblable. 

Je restai immobile face à ce spectacle, incapable d'assimiler l'idée que ce qui se déroulait sous mes yeux soit bien la réalité. Notre ennemi inatteignable, Ian Landry, s'était recroquevillé sous la pluie de coups, protégeant comme il pouvait sa tête de ses mains, pitoyable de faiblesse face à l'ouragan de rage qu'était devenu l'adolescent. Maintenant qu'il se déchaînait sur notre ennemi, je n'arrivais plus vraiment à penser à lui au féminin, frappé par la violence effrayante dont il faisait preuve.

J'avais beau savoir que je n'avais rien à craindre de sa part, j'eus un sursaut quand le blond tourna la tête vers moi avec l'expression d'un chat sauvage. Soudainement, il me faisait peur.

- Ah, Roxane, tu es là ! s'exclama-t-il de sa voix de garçon, le visage s'illuminant à ma vue, étrangement à l'aise malgré le contexte rocambolesque de la situation. Berry aussi est dans le coin, je suppose ?

- Oui, et Tommy, aussi.

- Cool ! Une recrue de plus !

Je hochai la tête, éberluée, et rassemblai le peu de bon sens qui me restait pour poser la question fatidique.

- Qu'est-ce qui s'est passé ici ? bredouillai-je.

- Bah, je me suis fait enlever comme un bleu, avoua-t-il en se grattant la nuque d'un air gêné, faisant cliqueter la chaîne brisée de sa menotte. Et quand je me suis réveillé ici, ce pervers détraqué essayait de... d'enlever ma culotte. Du coup j'ai un peu paniqué, je l'ai frappé pour me défendre, et... euhm... J'en ai peut-être trop fait... marmonna-il en baissant les yeux vers sa victime ensanglantée qui semblait maintenant inconsciente.

- Il t'a enlevé ta culotte ? demandai-je d'un ton un peu fébrile. Rien d'autre ?

- Bah... ça. fit simplement Edward en désignant son décolleté déboutonné sur son soutien-gorge.

Il avait grimacé de dégoût en prononçant ce mot, mais il en était ressorti indemne et ne semblait pas trop choqué par les événements. En fait, il semblait ne pas avoir parfaitement conscience de ce à quoi il avait échappé de justesse. J'en étais très heureuse. Je me sentis tellement soulagée que je l'attrapai et le serrai largement dans mes bras en l'étouffant à moitié, ce qui acheva de calmer la furie blonde. Une furie qui venait de péter ses menottes à mains nues et castagner énergiquement le plus grand mafieux de la ville.

- Tu crois que j'en ai trop fait ? murmura-t-il d'un ton inquiet, sans se débattre pour échapper à mon étreinte. Il bouge plus... Comment on va retrouver les filles s'il ne peut plus parler ?

- Je crois que c'est ce qu'on appelle un retour de karma, répondis-je en me penchant sur lui avec un regard méprisant. Il n'a eu que ce qu'il mérite.

Je lâchai quand même Edward pour m'accroupir et prendre le pouls de l'homme sous sa mâchoire. Je sentis qu'il battait encore.

- Bon, rassure-toi, il est encore vivant on dirait. Tu l'as bien amoché, mais je n'ai pas vraiment pitié de lui. Par contre, il faut aller aider les autres, je ne sais pas du tout comment il s'en sortent de leur côté et je suis pas très rassurée. Ce ne sont pas vraiment des experts...

- Oui, tu as raison. Mais même s'il ne parlera pas tout de suite, on le récupère, quand même... Pas question de le laisser filer !

- Surtout qu'en cas de problème, il peut faire un bon otage.

- Roxane, j'aime ton esprit pratique, fit l'adolescent en se penchant sur notre ennemi inanimé pour le fouiller et lui ôter toute arme. Il lui retira sa veste, puis sortit un opinel de sa poche de pantalon. Il jeta ce couteau dans un coin de la pièce, et me tendit un pistolet qu'il avait tiré de la poche intérieure de la veste.

- Pourquoi moi ? Je déteste ces trucs et je ne sais pas vraiment m'en servir, fis-je d'un ton un peu craintif.

- C'est juste le temps de me changer.

- Te changer ?

A ce moment-là, Edward claqua dans ses mains et les plaqua sur sa poitrine, et la pièce fut envahie d'un éclat de lumière bleue qui l'enveloppa, fusionnant sa robe et la veste qu'il avait au bras pour l'habiller d'un pantalon noir et d'une chemise bleu nuit. Sans doute aplatie sous une bande de tissu serrée, sa poitrine semblait avoir soudainement disparu. 

En un claquement de doigts, il était officiellement redevenu un garçon. Les menottes brisées tombèrent sur le parquet avec un cliquetis, et j'étais tellement stupéfaite que ma mâchoire inférieure aurait pu les rejoindre. Il les reprit et les transmuta de nouveau pour les refermer sur les poignets de Ian Landry. J'ouvrai des yeux en billes de loto.

- Tu peux faire ça, toi ? lâchai-je, stupéfaite tandis qu'il reprenait le pistolet pour le caler dans sa poche de pantalon fraîchement créée après avoir vérifié que la sécurité était bien enclenchée.

- Je maîtrise l'alchimie à un haut niveau, tu te rappelles ? répondit-il en levant les deux pouces avec un sourire. Enfin, je peux te dire que je me sens quand même carrément plus à l'aise habillé en homme. Allez, on prend le truc au passage, et on rejoint les autres !

Nous nous installâmes de part et d'autre pour soulever le « truc » en question, moi par les bras, lui par les pieds, calant les deux membres sous notre coude avant de repartir à pas vifs. J'étais impressionnée après cette démonstration de force, me rendant compte d'à quel point l'impression de petitesse et de fragilité qu'il pouvait dégager à certains moments était trompeuse. 

Je comprenais mieux pourquoi il faisait partie de l'armée, c'était une véritable machine de guerre à lui seul, non seulement pour sa force physique mais surtout pour ses talents d'alchimie. Bien que les cris d'Edward aient rameuté du monde dans le manoir, la suite de notre assaut se fit sans véritable résistance. C'est presque avec nonchalance qu'Edward claquait dans ses mains, gardant les genoux de Ian Landry coincés sous le coude, avant de tendre son bras libre vers le mur pour transmuter le bâtiment à sa guise, sous les yeux ahuris des témoins qui voyaient les murs changer de place, s'abattre sur eux, les portes s'ouvrir et les appliques changer de forme pour donner des coups de poing aux hommes de main d'Ian Landry. 

Face à son habileté, nos ennemis n'étaient gère plus que des marionnettes. Moi qui n'avais jamais vu de transmutation alchimique jusque-là, je découvris tout le potentiel de cette discipline. J'étais vraiment impressionnée, presque effrayée par la puissance de cette personne avec qui j'avais partagé ma vie depuis une semaine. En le suivant au milieu du champ de bataille, un peu hébétée, je notais mentalement de ne jamais, au grand jamais, m'en faire un ennemi.

Pourtant, malgré le respect vaguement inquiet qu'il m'inspirait à présent, je persistais à me dire que j'étais vraiment, vraiment soulagée qu'il ait échappé au pire.

Bras de fer, Gant de velours - Première partie : LacostaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant