Nos horaires avaient changés. Tous les deux jours, nous avions nos après-midis de libres, et les dimanches n'étaient plus travaillés. Ken avait convenu de nous ménager pour éviter d'autres accidents.
Ma cheville allait de mieux en mieux, mais je ne pouvais toujours pas danser sans attelle, la douleur était encore trop présente. Hugo et Ambre avaient été d'un soutien sans faille ses derniers jours, et grâce à eux, j'avais passé le cap de la frustration et nous avions pu nous remettre au travail.
Même si je ne voulais pas me l'avouer, mon entrevue avec Ken sur le parquet de la salle m'avait aussi beaucoup aidé. Dès le lendemain, la réaction de mon partenaire avait été sans appel :
- Je ne sais pas ce qui s'est passé dans ta tête Ma', mais sérieux il y a un sacré changement !
- De quoi tu parles ?
C'était Ambre qui avait répondu à la question.
- Tu es beaucoup moins dans la retenue, plus libre dans tes mouvements.
- Tu es une putain de sauvageonne ouais ! avait renchérit Hugo. Une vraie tigresse.
J'avais rougis instantanément l'évocation du mot « sauvage ». Ça c'est l'effet Ken. Il n'était pas venu nous voir depuis l'incident de la dernière fois. En fait je ne l'avais pas revu. J'essayai de me convaincre que c'était pour le mieux, mais je ne pouvais me mentir à moi-même : je mourrais d'envie de le revoir.
La journée se passa tranquillement. Une demi-heure avant de plier bagage, Hugo tendit son téléphone à Ambre.
- Tu peux filmer ? C'est pour Ken, je le vois ce soir, il aurait aimé savoir où ça en est.
- Il ne peut pas se déplacer lui-même ?
Ma voix était sortie sans que je ne lui en donne la permission, et je me mordis la langue. Ferme-la meuf ! Mon partenaire se tourna vers moi en haussant les épaules.
- Je sais pas, il m'a juste demandé de filmer.
Donc je ne le verrai pas ce soir. A contrecœur, je pris place et commença la chorégraphie. Les mouvements s'enchaînaient bien, comme inscrits dans mon corps, mais je ne pensais qu'à Ken. Est-ce qu'il m'évitait volontairement ? Il doit m'en vouloir. Non, en fait il doit me trouver ridicule. La voix d'Ambre me coupa dans ma réflexion.
- On va la refaire. Maëlle, je sais que c'est la fin de journée, que tu es fatiguée, mais donne tout s'il te plait.
Elle avait raison, il fallait que je sois professionnelle. Mais c'était impossible, son visage était ancré dans ma tête. On recommença deux fois encore avant qu'elle ne coupe la musique. Elle me regardait fixement et, fait très rare chez elle, elle avait le visage fermé, elle commença à perdre patience.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- C'est le film, je crois que ça me perturbe, mentis-je, essayant de me convaincre vainement.
- Tu as plutôt intérêt à t'y habituer, vous allez bientôt être filmés pour de vrai. Maintenant tu te reprends et tu fais les choses convenablement.
Mon corps fut parcouru d'un frisson. Je n'avais pas l'habitude qu'elle me parle aussi durement.
- Concentre-toi sur moi, me glissa Hugo, ne regarde que moi, je suis le centre de ta vie ! ajouta-t-il avec un clin d'œil.
La musique recommença. Hugo. Hugo. Hugo. Ken. HUGO. Hugo, son visage. Hugo, la douceur de son expression, son bras autour de ma taille, sa joue entre mes omoplates. Hugo. Lorsque les dernières notes filèrent, je redressai la tête, anxieuse.

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Parenthèse
Fanfiction"Ta façon de danser reflète ton âme, tu es quelqu'un de bien Maëlle."