CHAPITRE 4

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Edgar

J'entrai dans la cuisine et je vis ma domestique, endormie sur la table. Des larmes coulaient de ses joues, elle devait faire un cauchemar. Léonore Saint-Clair paraissait si innocente, pure, belle. Une femme comme elle ne pouvait pas être une simple domestique. Ses charmes, son vocabulaire, son éducation, n'étaient pas ceux d'une vulgaire et simple domestique. Cette femme, n'était pas née dans une famille pauvre, elle n'était point une femme de village. Sans le vouloir, je souriais en la regardant. J'avais eu des expériences avec des femmes, mais Léonore Saint-Clair n'était pas comme les autres, elle était unique.

– Monsieur, je... je... je suis désolée – ses joues étaient aussi rouges que des pivoines, elle était absolument magnifique – est-ce que vous allez me renvoyer ?
– Saint-Clair, calme-toi – dis-je froidement, j'ai dû faire un effort surhumain pour ne pas éclater de rire – je ne te renvois pas, car j'ai besoin de toi pour pouvoir parler avec ma fiancée. La prochaine fois que je te vois en train de dormir, tu seras licenciée.

Elle hocha faiblement la tête, et sortit de la cuisine pour aller ouvrir la porte. Je souriai intérieurement, Léonore Saint-Clair provoquait en moi des réactions que je ne voulais pas assumer. Si j'avais surpris quelqu'un d'autre dormant dans ma cuisine, je l'aurais renvoyé sans aucuns regrets.
Lester Blunt, mon ami d'enfance fut présenté par ma domestique.

– Saint-Clair, sers-nous un verre de whisky.

Elle s'exécuta puis je demandai à cette dernière d'aller au grenier pour qu'elle se familiarise avec les autres domestiques. Une fois que je me trouvai seul avec Lester, j'explosai.

– Pourquoi est-ce que j'ai senti le besoin de m'expliquer ? Cette femme n'est qu'une domestique ! Certes elle... elle... elle est très belle, mais...
– Es-tu amoureux ?

Ses yeux verts me regardaient suspicieusement.

– Non !
– Edgar, mon cher Edgar, tu ne perds jamais tes papiers, tu ne sors jamais de tes gonds, ta tête domine, alors explique-moi comment est-ce qu'une domestique peu en quelques instants te déstabiliser ?
– Je n'en ai pas la moindre idée, c'est vrai, Saint-Clair est charmante, mais – Lester me regarda surpris – mais ce n'est pas quelque chose de l'autre monde.
– D'accord j'ai compris – dit-il en levant les mains au ciel en signe de capitulation – mais je dois avouer que ta domestique est très belle.

Le fait qu'il le dise me rendit jaloux.

– Si ce n'était pas à cause du scandale publique, je n'hésiterais pas un seul instant pour courtiser cette domestique. Ou peut-être qu'un jour je la courtiserai peu importe le scandale.

La jalousie se saisit de moi mais je ne sais pas réellement pourquoi, à vrai dire je connaissais cette femme que depuis deux jours. Je ne sais pas exactement pourquoi sa modeste présence faisait palpiter mon coeur, probablement la curiosité, mais je ne croyais pas à cette thèse.

– Lester, je t'ai fait appeler car mon père m'a trouvé une fiancée.
– Alors il continue d'avoir cette idée ? – son ton était amusé, je bus une gorgée. – J'ai cru qu'après ce qu'il s'était passé la dernière fois il n'allait plus chercher.
– Tu t'en souviens encore ? – quémandai-je combrement.
– Bien sûr que oui ! Ce n'est pas tout les jours que la fiancée abandonne le fiancé le jour du mariage pour partir avec son majordome. – Je suppose que Lester vit la douleur que ce thème me provoquait encore en moi et changea de sujet.  – Ton whisky est délicieux.

Me rappeler de la honte que j'avais vécu à l'église m'avait énormément marqué. Il y avait plus d'une centaines d'invités et j'étais là, dans mon smoking de marié en attendant la femme que j'avais aimé le plus au monde. Elle avait été mon premier et mon dernier amour. Je suppose que dans notre vie nous devons tous nous briser, sinon ce n'est pas une vie, et bien je pense que ce refus m'a brisé, tel du verre. Pendant des semaines durantes j'avais été la risée du voisinage.

– Mon père veut me marier à cause de sa mauvaise inversion à la banque. Je ne comprends pas pourquoi, je suis riche, et j'ai plusieurs clients. L'argent n'est décidément pas ce qui nous manque.
– Je sais que tu n'aimes pas que je te le dise mais ton père est parcimonieux. – il but une gorgée.
– C'est tout ce que je voulais te dire, bien sûr, si je me marie, tu seras le parrain – affirmai-je en lui tapant amicalement l'épaule.

(***)

– Veux-tu bien m'apprendre ce que tu sais ?
– Je vais chercher du papier et de quoi écrire – dit-elle en se levant, Saint-Clair me regarda et elle hésita un instant – Je ne connais que la cuisine dans cette maison, monsieur Douglas, et votre père m'a demandé de préparer la chambre d'invité.
– Je vais chercher du papier et de quoi écrire, après notre leçon, je te ferai visiter le domaine.

Je sortit de la cuisine et entra dans mon bureau, je pris tout le matériel nécessaire et retourna à la cuisine. La domestique commença à écrire une phrase.

– Tu sais écrire ? – quémandai-je lorsqu'elle eut fini d'écrire sa phrase, elle me regarda comme si je lui demandais quelque chose de déraisonnable.
– Écrire, lire, compter, oui, je sais tout ça – affirma-t-elle fièrement – je ne suis pas une simple domestique comme vous le disiez, surprenant, n'est-ce pas ?

Sa voix était amusée, joyeuse. Ses yeux noisettes rencontrèrent les miens et ses joues rougirent, comme si le fait de la regarder pouvait allumer le feu qui brûlait en elle. Léonore Saint-Clair n'était pas une domestique, j'en étais certain.

– Quel est votre secret ? – demandai-je en posant ma main sur la sienne.
– Pourquoi est-ce que soudainement vous me vouvoyez ? – elle retira délicatement sa main, et cette lenteur fit languir.
– Préférez-vous que je vous traite comme la domestique que vous n'êtes pas ?
– Vous êtes avocat, je suppose que vous connaissiez la renommée de Casper Saint-Clair.
– Bien sûr c'est un avocat fabuleux, il a gagné des dizaines de cas. – un sourire nostalgique s'afficha sur son beau visage. – Saint-Clair... Vous... vous êtes sa fille ? – la découverte me fit tressaillir.
– Je suis la fille de Mary d'Egerton et Casper Saint-Clair. – avoua-t-elle en regardant ses mains, comme si cet aveu était une honte.
– Que faites-vous ici ? Pourquoi est-ce que vous êtes une domestique ? Vous êtes une famille riche, quel est le besoin de servir ?
Ses joues devinrent encore plus rouge et Léonore Saint-Clair cacha son visage avec ses mains.
– Et si nous continuions notre leçon ?
– Vous éludez le sujet, pourquoi ?
– Parce qu'il est trop douloureux pour l'instant, s'il vous plaît, monsieur Douglas, ne m'en demandez pas plus.

Ses magnifiques yeux noisettes se remplirent d'eau, mais elle ferma les yeux afin de ne pas laisser les larmes couler.

– Maintenant, je comprends mieux pourquoi vous dormiez dans la cuisine – dis-je en voulant la faire rire.

Ce que j'eus en guise de récompense fut un pâle sourire. Le cours se déroula de manière normale, et pendant deux longues heures, j'ai eu l'occasion d'admirer les belles facettes de ce magnifique visage. Ses cheveux châtains étaient attachés en faisant un chignon bas, très simple, mais elle était fabuleuse. Mon coeur n'avais pas ressenti ça depuis très longtemps, et ce frémissement d'adoration devint un frémissement de peur.

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