CHAPITRE 3

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Léonore

Je détestais être la domestique ! Mais je devais me ressaisir. Edgar ne m'avait pas reconnu, en tout cas pas pour l'instant et je ne devais pas tout faire tomber à l'eau. Je toquai à la porte de service l'appartement de monsieur Blunt et une autre domestique m'ouvrit la porte.

– Bonjour, est-ce que monsieur Lester Blunt est là ? – demandai-je, et la domestique me montra la voie jusqu'au salon.

Je lui transmis le message. Sur le chemin de retour, je repensais à ma discussion avec monsieur Douglas. Le sourire qu'il arborait lorsque j'étais honnête avec lui faisait frémir mon coeur. Le jeune Douglas avait ses charmes, charmes qui étaient indéniables. Charme qui m'avait déjà charmé auparavant. L'unique problème était le fait que son père l'avait fiancé avec l'espagnole ce détail allait peut-être la tâche. J'entrai dans la cuisine par la maudite porte de service et m'assis sur une chaise.

– Pourquoi moi ? – me demandai-je sans attendre aucune réponse – pourquoi est-ce que j'ai perdu tout ce que j'avais ?

Depuis la mort de mon père j'avais pris l'habitude de parler seule, en espérant qu'un jour il puisse m'entendre. Je sorti mon collier de ma robe, c'était une simple chaîne en argent avec l'alliance de ma mère et de mon père. Une petite larme coula sur ma joue, je m'empressais de la sécher et j'arborai un sourire lorsque j'entendis des pas en direction de la cuisine.

– Est-ce que tu vas bien ? – me demanda monsieur Douglas.
– Bien sûr que oui – rétorquai-je en rangeant rapidement mon collier sous ma robe – que désirez-vous ?
– Je t'ai engagé mais je ne t'ai fait passé aucunes épreuves – commença-t-il en s'asseyant sur la chaise – préparez-moi quelque chose à manger, j'ai faim.
– Vous pouvez retourner dans le salon, votre place n'est pas ici, je vous apporterai votre repas d'ici une heure – dis-je en lui tournant le dos.
– Je préfère te regarder faire – dit-il en se levant pour venir à mes côtés – est-ce que tu as pu parler avec Lester ?

J'hochai positivement la tête et lui expliquai que son ami viendra plus tard dans l'après-midi, car il avait des gestions à faire. Le jeune Douglas retourna s'asseoir sur la chaise de la cuisine.

Je commençai à couper des oignons. J'allais faire une recette espagnole, c'était également le dernier repas de mon père. Je ne sais pas si la faute revient aux oignons ou aux souvenirs de ma vie antérieure, mais mes yeux se remplirent de larmes, ces dernières débordèrent sur mes joues tel un évier trop rempli. Je me mordis la langue pour tenter de me calmer, je ne désirais point que monsieur Douglas remarque mon état.

– Est-ce que tu vas bien ? – demanda ce dernier en sirotant son verre de whisky.
– Oui, ce sont les oignons.
– J'ai cru t'avoir dit d'être honnête avec moi – même si je lui tournais le dos, je pouvais sentir son sourire arrogant sur ses lèvres – les oignons ne font pas pleurer autant.
– Avez-vous déjà découper ces petits légumes ? – dis-je sur un faux ton enjoué.
– Non, j'ai toujours eu le privilège d'avoir des domestiques pour le faire.

Satané idiot ! Moi aussi j'avais toujours eu des domestiques pour le faire ! J'étais mille fois plus riche que lui, et j'avais tout perdu !

– Qu'est-ce qui t'arrives, Léonore Saint-Clair ?
– Je n'aime pas être observée pendant que je fais mes obligations en temps que domestique – un mensonge aussi grand qu'une cathédrale, mais lui dire la vérité était la dernière de mes préoccupations.
– Ne me dis pas que tu n'as jamais eu une dizaine de prétendants qui te courraient derrière – son ton amusé m'agaçait.

J'éludai sa question et je continuai de lui préparé son repas. S'il continuait d'être aussi agaçant, j'allai finir par mettre de la cigüe dans son assiette.

– C'est prêt – dis-je en posant l'assiette devant ses yeux.
– Qu'est-ce que c'est ? – me demanda-t-il en touchant la nourriture avec le bout de son couteau.
– C'est un plat espagnol, une tortilla – expliquai-je en me lavant les mains – j'ai estimé que vous préparer un plat de la même origine que votre fiancée était adéquat, il découpa un morceau et le mastiqua.
– C'est délicieux – dit-il en me regardant.

Je baissai le yeux et rougit. Je m'éloignai de lui et commença à laver les ustensils que j'avais utilisés.

– Je ne savais pas, je ne savais pas que mon père m'avait trouvé une fiancée – expliqua-t-il visiblement gêné.
– Ne vous sentez pas obligé de vous justifier – il me regarda droit dans les yeux, passa une de ses mains dans ses beau cheveux bruns et se leva – je ne suis que votre domestique.
– Tu as raison, tu n'es qu'une domestique.

Le fait que monsieur Edgar Douglas me rappelle constamment que je suis une domestique m'irritais légèrement, mais c'était la vérité.

– Monsieur, pour les cours d'espagnol, je – je me retournai pour pouvoir voir mon interlocuteur et je découvris que ce dernier n'était plus dans la cuisine.

Je finis de laver tous les ustensils et je m'assis sur la chaise. J'avais eu de la chance avec monsieur Edgar Douglas, sincèrement, je ne sais pas pourquoi ce dernier m'a choisi moi, au lieu de l'autre domestique. Son père n'avait pas l'air très ravi de me voir lorsqu'il arriva dans la cuisine pour demander à la domestique de préparer la chambre d'invité. Ce fut assez cocasse de voir monsieur Douglas me toiser du regard lorsqu'il passa le seuil de la porte de la cuisine. Il s'en alla aussi rapidement qu'il arriva. J'étais fatiguée, et je m'endormis sur la table de la cuisine.

J'étais à Madrid, avec mon père, nous venions de visiter Rabat, une ville charmante. Notre séjour dans la capitale espagnole devait durer quatre mois, après cette durée, nous devions nous rendre à Santander pour aller à New-York. Mon père avait toujours rêvé de visiter cette ville. Mon père était très malade, et nous n'avons jamais pu voir New-York. Je commençai à pleurer, voir mon père sur son lit de mort, m'ouvrait de bien profondes blessures que peu importe le temps qui passerait depuis, rien ne pouvait les guérir. La chute que j'avais fait était presque mortelle, mais j'avais un soupçon d'espoir, j'avais envie de croire que tout pouvait redevenir comme avant. Cette horrible chute m'avait rendu la liberté, voilà tout ce que je trouvais de positif dans mon nouveau statut sociale. Je n'obéissais plus à aucun homme, je n'étais plus la propriété de quelqu'un, même si j'étais une simple domestique.

Lorsque je me réveillai, de l'eau avait coulé sur mes joues. Je me redressai et il était là, devant moi, assis à la table me regardant avec son sourire arrogant affiché sur son magnifique visage. Le pire ne pouvait qu'arriver.

La DomestiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant