12 - Manger et son contraire

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Quel intérêt de déjeuner chez ma belle-mère ce dimanche midi ? J'ai déjà dû l'affronter chaque soir de la semaine au moment de récupérer les enfants. Invariablement, j'ai prétexté être pressée pour quitter les lieux rapidement. Elle n'a d'ailleurs rien fait pour me retenir. On ne s'apprécie pas. La situation est claire. Je n'ai pas trouvé le courage de parler à Kévin de la proposition financière qu'elle m'a faite pour que je renonce à lui. J'aurais l'impression de le mettre au pied du mur et l'obliger à choisir entre elle et moi. Il incarne à merveille le fils idéal aux yeux de sa mère, le survivant d'une famille dont le père est mort brutalement dans un accident de moto. C'est un peu comme si plus tard, Une femme cherchait à m'éloigner de Louis. Je serais incapable de le supporter.

Peut-être cherche-t-elle à faire amende honorable aujourd'hui. Je peux encore y croire comme nous franchissons son portail électrique. La lumière de Février est engageante, le soleil quasi printanier, une invitation pour les enfants à profiter des balançoires dans le jardin. Après, avoir dit bonjour à leur mamie, ils font la course jusqu'au portique. Comme souvent, Fiona laisse gagner Louis. Kévin les rejoint et pousse les deux balançoires alternativement. Louis jubile, Fiona se réjouit pour lui.

Caroline est un peu en retrait derrière moi. Nous observons ensemble, ce bonheur familial.

- Vous savez Sofia, j'ai enfin réalisé de quel charme dont vous parliez.

Sur le moment, je suis un peu dubitative puis je repense à notre houleuse conversation. Elle s'explique :

- Vous savez, votre principal charme, qui plait tant à mon fils...

Puis-je encore espérer une rédemption de sa part ?

- ... C'est d'écarter les cuisses.

Je me retourne stupéfaite par sa cinglante remarque. Elle compte me pourrir longtemps la vie ?

D'un air tout à fait affable, à mille lieues du fiel qu'elle vient de déverser sur moi, elle invite Kévin et les enfants à passer à table. Je crois rêver.

J'ignore si c'est à cause de ce qu'elle m'a balancé en arrivant mais je n'ai plus aucun appétit. Je me force à manger pour ne pas éveiller les soupçons de Kévin, mais ce repas est un supplice. J'ai la nausée et envie de lui jeter mon assiette à la figure pour ce qu'elle m'a dit. Sa manière de faire comme si de rien à table me dégoute. Tout à coup, mon estomac décide de parler à ma place et expulse son contenu sur la nappe et les assiettes design de la belle-mère.

- Maman, elle est malade ? Demande Louis, inquiet.

- En S.V.T., on a appris que parfois quand on vomit, c'est qu'on est enceinte, ajoute Fiona, très scolaire.

Oh Putain ! Je crois que la gamine à raison. J'ai soudain un flash de mon expérience réunionnaise. Pour Louis, j'ai vomi tripes et boyaux pendant des semaines.

La mère de Kévin est moins écœurée par les souillures qui se rependent sur la table dominicale que scandalisée par l'hypothèse que Fiona vient de soulever. Kévin, lui semble sincèrement heureux.

J'attends dans la voiture avec les enfants, Kévin à l'extérieur dit au revoir à sa mère. Après une dernière étreinte, il me rejoint et me glisse à l'oreille :

- Avec un peu de chance, il faudra acheter une voiture plus grande.

Fiona à qui rien n'échappe, ajoute pragmatique :

- J'ai déjà un petit frère. Et il ne reste déjà que la chambre d'amis pour moi à l'appart.

Kévin est le seul à se réjouir dans cette histoire, ou quoi ?

L'audacieuse Sofia Capriaglini / Tome 6 / Présomption d'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant