Une imposante marmite trône au milieu de la table. Bénédicte, l'ex-femme de Kévin a préparé un bœuf bourguignon et convié Benjamin à notre repas familial. Mon hôtesse est aussi soulagée de ne plus avoir à laisser une chaise vide et des couverts dressés pour un fantôme entre Marine et moi. Benjamin occupe cette place et je crois que cela convient à tous.
Depuis son divorce, Bénédicte a connu une période de sobriété vestimentaire, assez courte et de toute évidence terminée. Pendant qu'elle remplit nos verres, deux gros melons débordent de son chemisier dont les cinq premiers boutons sont défaits. Période hivernale oblige, elle a opté pour une jupe longue mais suffisamment fendue d'un côté pour laisser deviner la naissance de ses bas. Kévin, assis à sa droite a tout loisir de se rincer l'œil.
Lors de notre dernière soirée, Benjamin et Marine m'avaient semblé proches, j'ignore s'il y a le commencement d'une relation entre eux, en tout cas chacun est venu avec sa voiture. Que cette fille à la beauté diaphane, délicate et brillante soit depuis si longtemps célibataire, relève pour moi du mystère. A moins qu'elle non plus ne parvienne à tourner la page de l'après Cédric.
- T'as combien de tatouage demande Béné à Benjamin, tout en servant le vin.
- Huit, répond t-il après un bref inventaire mental.
- Ca doit faire mal l'intérieur du bras.
- Sans doute pas autant que celui que tu as dans le bas du dos.
Le reste de l'assemblée le regarde à présent avec étonnement.
- Tu l'as vu ? Interroge Gaétan.
Les images de la poussive soirée doivent revenir en mémoire à Benjamin, de même que l'idée qu'il aurait mieux fait de se taire. Béné, visiblement mal à l'aise le supplie du regard de ne pas dévoiler les circonstances.
- Ben, raconte-nous ! Comment tu l'as vu ? Insiste mon pénible ex.
Par pure solidarité familiale, j'interviens pour défendre mon demi-frère :
- Il l'a vu c'est tout. Peu importe. C'est son premier repas avec nous, ne lui fais pas subir un interrogatoire, dis-je en foudroyant Gaétan du regard.
- J'aurais quand même été intéressé de savoir comment tu connais l'existence d'un tatouage aussi discret chez mon ex-femme, s'emmêle Kévin.
Mais qu'est-ce qui lui prend ? Béné et lui sont divorcés, elle n'a plus de compte à lui rendre.
- On a été à la piscine ensemble, ment Benjamin avec aplomb. Je fais de l'aquagym de temps en temps.
Gaétan pouffe d'un rire moqueur. Qu'il soit désormais chez lui l'autorise à être grossier. Benjamin m'adresse un regard qui veut dire : t'as vu ce que je suis obligé d'endurer avec ces relous !
- Ben quoi !? Il a le doit de faire de l'aquagym et d'ailleurs Benjamin est très musclé.
L'attention change de cible, j'endosse de détourner le malaise de Benjamin vers moi. Cette fois, mon demi-frère est adulé par les deux autres femmes et détesté par les hommes.
- Tu te produis en ce moment ? Demande Marine pour changer de sujet.
Benjamin est musicien amateur mais aussi infirmier intérimaire.
- C'est plutôt à l'hosto que je me produis en ce moment, lâche t-il d'un sourire reconnaissant. On a davantage de spectacles l'été.
- Tu joues de quoi déjà ? s'intéresse Kévin, regrettant sans doute un peu de si mal connaitre son demi-frère.
- Guitare, basse et un peu d'accordéon. Je suis un peu touche à tout.
- Ben touche pas trop quand même, balance Gaétan en se levant pour surveiller les enfants qui finissent leur repas et s'apprêtent à jouer dans la pièce communicante.
Benjamin a pour moi une grimace de connivence. Son intégration n'est pas gagnée d'avance. Gaétan hors de portée, je glisse à l'oreille de notre nouvel invité :
- T'inquiète pas, faut toujours qu'il bizute les nouveaux.
Kévin a entendu :
- Je le connais depuis l'adolescence et il m'appelle toujours Mozzarella !
Béné se dirige vers la cuisine, un cri attire notre attention. Avant que quiconque n'ait eu le temps de réagir, Kévin l'a déjà rejointe. Quelque part, c'est un peu comme chez lui ici puisque c'est la maison qu'ils ont fait construire ensemble. Tant que l'ancien couple n'appelle pas de renfort, je préfère les laisser seuls, par discrétion. Ce qui ne m'empêche pas de me pencher pour les observer en douce à travers la porte communicante. Elle a visiblement trébuché ce qui vu ses talons était prévisible. Kévin l'aide à se relever puis se tient à une distance respectable ensuite. Elle semble nerveuse, parle avec de grands gestes. Je pense deviner qu'elle s'énerve contre l'attitude de Gaétan. Je suis sortie deux ans avec ce type quand j'avais seize ans. A présent, je ne le supporterais pas plus d'un déjeuner. Vu les yeux que Kévin écarquille, je pense qu'elle doit lui raconter ensuite la fâcheuse soirée et sans doute le striptease. Kévin aussi à l'air contrarié, d'aussi grands gestes sont sa répartie. Dommage que d'ici je n'ai pas le son. Il s'est calmé, normal elle semble triste. Mais qu'est-ce qu'il fait ? Il passe la main dans les cheveux blonds qui descendent en cascade sur ses épaules et lui dépose une bise tellement tendre sur la joue que je ne peux m'empêcher de retrousser les lèvres en une grimace de dégout. Marine a remarqué mon expression et se retourne à son tour. Surpris d'avoir des spectateurs, les anciens époux s'écartent et reviennent prendre place à table comme si de rien.
Si j'aborde le sujet, Kévin risque de trouver ma jalousie déplacée, pourtant je ne peux chasser cette image de mon esprit. Mon silence inhabituel dans l'habitacle attire son attention. Derrière, Louis et Fiona écoutent de la musique sur le portable de Fiona, des remix de chansons connues avec des voies nasillardes d'un zoo cartoonesques.
- Tu m'en veux ? devine t-il.
- T'as toujours des sentiments pour elle ?
- C'est la mère de ma fille.
Bien sûr. C'est la pure et officielle vérité. Il l'a aimée avant moi.
- C'est une très gentille personne. Elle a tendance aux débordements, c'est tout.
- Elle t'a parlé de la soirée ?
- Celle où tu as demandé à Benjamin de veiller sur elle ? Oui. Je te remercie d'ailleurs. Après un silence, il ajoute inquiet : je la sens triste en ce moment.
- Tu ne trouves pas cela curieux qu'elle vive toujours dans votre maison ? Si tu veux mon avis, elle n'est pas prête à tourner la page.
Il tourne vers moi un regard surpris.
- Mais non. C'est mieux pour la stabilité de Fiona de rester dans la maison de son enfance. N'y vois rien d'autre.
C'est curieux. A cet instant je sais qu'il ment, un peu pour me rassurer et beaucoup pour essayer de se convaincre lui-même.
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L'audacieuse Sofia Capriaglini / Tome 6 / Présomption d'innocence
Romanzi rosa / ChickLitKévin a tout fait pour m'aider : m'embaucher dans son cabinet d'avocat, me donner un fils, quitter sa femme et m'aider à surmonter mon traumatisme psychologique. Seulement quand il souhaite agrandir notre famille, c'est la panique ! Il oublie ou quo...