6 - Bénédicte

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Une fois seule dans la voiture, je dois admettre que cet échange m'a perturbée plus que je ne veux l'admettre. Mes mains tremblent sur le volant. Je ne souhaite pas en parler de suite à Kévin, pas avant d'avoir digéré la colère qui m'assaille. Je risquerais de dire des choses horribles sur sa mère. Est-ce ainsi que mon entourage me voit : une profiteuse sans scrupule ? Je décide de rendre visite à celle qui aurait des raisons bien légitimes de m'en vouloir.

Béné m'ouvre la porte, surprise de ma présence :

- T'es pas entrain de faire ta valise, toi ? me taquine-t-elle.

- Non, je voulais te voir avant.

- Oh ! C'est grave ? Demande-t-elle amusée par la gravité de mes paroles.

- Tu m'en veux ? Je commence d'emblée.

Elle me précède en direction de la cuisine. Elle pose deux verres entre nous sur le comptoir qu'elle remplit de jus de fruit.

- Tu parles de Kévin ?

- J'ai besoin de savoir, insisté-je.

Elle plante son joli regard marron dans le mien. Des iris, aux couleurs de l'automne, rehaussés de longs cils noirs. Elle me dévisage en silence. J'attends sa sentence.

- A un moment, j'ai vraiment souhaité que tu disparaisses. Je n'avais jamais autant éprouvé de rage pour quelqu'un. Je ne me reconnaissais plus. J'avais tellement mal quand il m'a quitté, je voulais te faire souffrir en retour.

Les vannes sont ouvertes et avec un flot de fiel qui se décharge :

- ...Au début, il disait que tu étais fragile, que tu avais besoin de lui, que Louis avait besoin d'un adulte stable. Je ne savais pas avec qui tu l'avais eu. Tu vivais sous les tropiques, tu aurais pu coucher avec n'importe qui en pensant que c'était Cédric. Je croyais que tu le considérais comme un frère, j'ai été naïve.

Ses traits se durcissent à mesure qu'elle évoque ce chagrin qui l'a rongée. Dans son regard, je décèle une lueur comparable à celle qu'elle avait quand elle m'a poussée dans le fleuve. Nous sommes seules toutes les deux dans sa cuisine. Il lui suffirait d'une seconde pour saisir un couteau et se venger. Sa main plonge sous le comptoir, où je sais que s'aligne une rangée de tiroirs. Il m'est arrivé deux ou trois fois de mettre le couvert chez eux. Je me suis jetée dans la gueule du loup, j'ai attisé de vieilles braises dans l'espoir imbécile de soulager ma conscience, espérant un hypothétique pardon. J'étais pourtant bien placée pour savoir combien ils s'aimaient tous les deux. Kévin me racontait en détail les instants d'une vie idyllique. En réalité, elle se contente de réajuster sa jupe. Je divague complètement.

Le claquement de la porte d'entrée me fait sursauter. Gaétan vient de rentrer. Je le devine déposant sa veste dans le hall, écrasant sa cigarette dans le cendrier. La conversation entre nous est rompue. Il nous rejoint, embrasse Béné sans retenue, à dessein de me mettre encore plus mal à l'aise, si cela est encore possible, puis après son apnée amoureuse, me salue comme un pote. Pas de bise, cela me convient. Il dégage les longs cheveux de Béné et l'embrasse dans le cou puis la saisit par la main et l'entraine dans un des fauteuils du salon communiquant. Il l'invite à s'installer sur ses genoux et l'embrasse à nouveau tout en remontant la main le long de sa cuisse. Après tout, ils sont chez eux, je me suis invitée à l'improviste. Bien mal m'en a pris. Je me demande ce que j'éprouve partagée entre le soulagement que Béné ait retrouvé quelqu'un et le malaise inspiré par le spectacle de leur intimité qu'ils m'imposent. Je suis la seule que cela gêne visiblement. Il défait quelques boutons de son chemisier et s'insinue contre sa lingerie pour lui pétrir les seins. Il s'interrompt.

- Qu'est-ce que t'as à nous mater ? Il ne s'occupe pas de toi, Mozzarella ?

Cette fois, toute gêne m'a quittée, je réalise que notre groupe est gangréné par la jalousie. Je m'approche d'eux et plante mon regard dans celui bleu-pâle de Gaétan :

- T'as pas besoin de baiser devant moi pour me dégouter de toi, y'a longtemps que c'est déjà fait.

Comme souvent avec lui, l'agressivité verbale est ma seule réponse. Inhabituellement courtois, il me raccompagne à la porte, tout sourire. Il me glisse à l'oreille :

- T'es jalouse.

- Pas besoin, j'ai mieux à la maison.

Béné me rattrape devant la porte :

- Ca reste entre nous ce que je t'ai dis... Tu ne lui raconte pas, hein !

- Bien sûr. Je te demande pardon.

Le froid nocturne de cette fin d'après-midi de Décembre me cingle le visage comme une gifle. Pourtant, en la voyant sourire, je me sens délestée d'un poids. Mon soulagement est immense.

L'audacieuse Sofia Capriaglini / Tome 6 / Présomption d'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant