18 - L'hypothétique bébé

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- Le docteur Tissot, a laissé un message sur le répondeur, il s'étonnait que tu ne l'aies pas recontacté pour ton suivi de grossesse. Il voulait aussi s'assurer que tu avais bien passé l'échographie du troisième mois. Tu peux m'expliquer ? Demande Kévin inquisiteur.

Depuis que par manque de courage ou juste incapable d'affronter la réalité, j'ai jeté l'enveloppe contenant les résultats, trois mois se sont écoulés. Depuis, j'ai tenté de passer à autre chose.

J'apprends par Kévin la confirmation de ma grossesse. J'ai stupidement laissé passer le délai légal d'avortement pourtant je me sens absolument incapable d'affronter la situation. Un tremblement nerveux s'empare de mes mains et de mes jambes. Kévin me rejoint sur le canapé et passe une main compatissante sur ma nuque.

- Pourquoi tu ne m'en n'as pas parlé ? On l'a fait ensemble ce bébé. Et éteins cette cigarette !

Impossible de me justifier avec ces raisons qui bien que sincères, m'apparaissent peu entendables. Il semble blessé. D'habitude si enclin au réconfort, il se renferme dans le silence et part s'isoler dans la chambre d'amis. J'existe pour deux à présent, bien malgré moi, et pourtant je me sens désespérément seule.

Au moment de récupèrer Louis à la sortie de l'école, je tente au mieux de dissimuler ma peine derrière une conversation banale. Il n'est pas dupe.

- Maman ? Pourquoi, t'es triste ?

Je m'agenouille à sa hauteur. Son regard inquiet me pousse à puiser en moi la force de la rassurer.

- Parfois les adultes sont tristes aussi. T'inquiète pas, ça va passer. J'ai de la chance de t'avoir.

Son inquiétude se mue en surprise, d'un coup il a carrément l'air effrayé.

- Qu'est-ce qui ne va pas, mon chéri ?

- Maman, tu saignes ! Me fait-il remarquer en désignant le sang qui goutte sur le trottoir.

Kévin et moi avons pris deux heures pour nous absenter du cabinet et consulter le docteur Tissot. La veille, avec Louis, j'ai agit mécaniquement, protégé le siège, déposer Louis en bas de l'immeuble, prévenu Kévin de descendre chercher notre fils et suis partie aux urgences gynécologiques. Etrangement, je ne ressentais aucune douleur mais la quantité de sang que je perdais ne laissait plus de doute.

Ce jeune médecin semble infiniment patient et délicat. Agit-il avec autant de prévenance parce qu'il a affaire à un avocat ?

- Donc vous avez déjà un enfant de six ans, né à terme. Y a-t-il eu des soucis pendant cette grossesse ?

Il parle sur le plan physique ou psychiatrique ? Kévin me laisse répondre.

- Non, finis-je par concéder.

- Vous étiez donc à trois mois de grossesse révolus.

C'est la pure vérité mais pour moi, cette précision enfonce le clou.

- Vous savez parfois, quand on perd un fœtus, c'est que la nature a jugé qu'il n'était pas viable.

A ces mots, Kévin s'adosse à la chaise, les bras croisés, le regard fuyant, les larmes ne sont pas loin. Le médecin est certes jeune dans la profession mais il observe aussi son attitude. Cherche t-il à déceler chez lui une éventuelle culpabilité ? De toute évidence, il se doute qu'on lui dissimule quelque chose.

- Ya t-il des difficultés à concevoir dans vos familles respectives ? Tente t-il d'investiguer.

Un silence pesant lui répond.

- Je vais examiner madame. Souhaitez-vous que monsieur reste ?

Kévin sort enfin de son mutisme.

- S'il vous plait, ne questionnez pas plus ma compagne. J'étais seul à désirer ce deuxième enfant. J'ai manigancé pour que Sofia tombe enceinte jusqu'à l'emmener en week-end à Venise en ayant pris soin de retirer sa plaquette de pilule des bagages juste avant le départ. Il se tourne vers moi : j'ai été très égoïste, je te demande pardon.

Un peu avant le dîner, Louis vient de marquer un but à son père dans le square au pied de l'immeuble. Je les observe depuis le balcon, tirant sur la cigarette qui m'est de nouveau permise. Kévin tente de donner le change mais je le devine infiniment triste. Je devrais lui en vouloir de cette nouvelle manigance mais je n'y arrive pas. Il voulait tellement cet enfant qu'aujourd'hui il en porte le deuil. Par curiosité, j'ai cherché sur internet à quoi pouvait se résumer un fœtus à ce stade de développement : neuf centimètres. Instinctivement mon pouce s'écarte de cette distance de mon index et majeur qui tiennent la cigarette.

Il culpabilise de ce que je viens de traverser. Il a tort. Je n'ai pas eu le temps de me faire à l'idée que j'étais enceinte que déjà, cet hypothétique bébé s'en allait, rejeté par une nature sélective.

Louis remonte, essoufflé et traverse le couloir.

- Vas te doucher mon grand, je te prépare tes habits, dit Kévin, à sa suite.

Son regard glisse vers le mien mais il peine à le soutenir. Situation insupportable. Je décide de crever l'abcès.

- Je suis désolée. Tu voulais cet enfant.

Il me rejoint dans la cuisine.

- Je me suis très mal comporté avec toi. Tu n'étais pas prête. Ce que tu endures par ma faute... C'est moi qui suis désolé de t'infliger autant de souffrance.

Le mot est peut-être un peu fort mais il regrette sincèrement alors je me garde de minimiser. On recommence à se parler, c'est déjà énorme. Il passe la main sur ma joue ce qui me donne à espérer qu'on puisse retrouver une relation comparable à celle qu'on avait avant. Il se garde cependant de m'embrasser. Dans le salon sur un hôtel improvisé, il a allumé une bougie, pour notre bébé qui n'existe plus. Ce serait si simple si je partageais sa peine.

L'audacieuse Sofia Capriaglini / Tome 6 / Présomption d'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant