29 - Médiatique

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Avec cette demande en mariage qui m'oblige à répéter chaque soir devant le miroir de la salle de bain, ce que je fais dire à Richard pour tenter de le rallier à notre cause, j'en avais presque oublié l'autre préoccupation de Kévin : le procès de sa cliente infanticide.

Huit-heure quinze, déjà un attroupement de journalistes attend devant l'entrée du cabinet et se précipite au devant de nous, micros à la main pour une interview improvisée. Kévin se retranche derrière le secret de l'instruction et tente à travers cette tribune d'inviter les auditeurs au calme. Cette affaire qui touche à l'intime et à une conception inconsciente de la maternité, heurte et déchaine les instincts de haine du citoyen et fait surtout les choux gras de la presse. Je le constate à regret : une affaire sordide associé au physique avantageux de mon futur mari, c'est vendeur. La porte du cabinet refermée sur les flash qui tentent une dernière photo, nous apporte un moment de répit. Le hall d'entrée devient un refuge.

- Tu as préparé ta ligne de défense ?

- J'y occupe une partie de mes journées et mes soirées depuis trois mois, ma chérie. L'expert psychiatre qui l'a reçue en entretien doit rendre ses conclusions prochainement. A ce stade, je ne peux plus plaider pour elle que l'irresponsabilité. J'ai épluché son passé, interrogé ses parents, recueilli les témoignages de ses voisins, ses anciens profs, ses rares anciens collègues de travail.

Il faut dire que sa cliente avait fini par démissionner de son poste d'employée libre service dans une superette pour se consacrer à ses deux premiers enfants. Avec du recul, elle n'aurait peut-être pas du...

- Et ça ne te fais plus rien ? Je lui demande dans la lumière qui s'infiltre à travers la porte d'entrée.

Il reste un moment silencieux, les bras croisés, adossé au mur juste sous une reprographie d'un Rembrandt choisi comme les autres tableaux du cabinet, par Richard. Se retrancher derrière des termes juridiques est devenu un rempart, évoquer son ressenti sur cette affaire le rend nettement plus vulnérable.

- Je ne suis pas là pour lui pardonner ou donner mon avis. Ce sera au juge de décider.

- Tu ne réponds pas à ma question ?

- So, s'il te plait...

Il me devance vers son bureau. Je n'y croyais plus mais il répond enfin.

- Je suis déjà affecté par cet enfant qu'on a perdu, alors cette femme qui les a tué tous les quatre, tu imagines ? J'aurais tellement aimé...

Un voile passe devant son regard, je me sens sur le point de craquer et enfin me livrer le fond de sa pensée. Malheureusement, cette phrase enfin sincère est interrompue par un « fais chier ! » comme l'imprimante signale sa rupture de papier. Il met un terme à sa confession pour chercher des feuilles et approvisionner le tiroir.

- T'as pas des actes à rédiger, toi ? Me congédie t-il.

A dix heures, après avoir traité en priorité les dossiers de Maxime et lui avoir servi l'équivalent d'une cafetière entière, (ce patron manipulateur a bien trouvé le truc pour obtenir le maximum de moi : menacer mon poste), je retrouve Kévin dans son bureau avec un mug fumant à la main.

- Pour Louis, tu es tombée enceinte un peu par hasard. T'étais heureuse au moins qu'il soit de moi ? Me demande t- il.

- Tu étais marié et je croyais être en couple avec Cédric. C'était plutôt embarrassant, surtout vis-à-vis de Bénédicte.

J'aperçois la silhouette de Maxime s'attarder derrière la portée vitrée. Machinalement, je planque mon mug et réoriente à contrecœur, la conversation vers le travail.

- Comment tu t'es trouvé à être l'avocat de cette femme ?

- De manière improbable. Elle a parcouru les pages jaunes à ce qu'elle m'a raconté. Elle cherchait un avocat du droit des personnes bien sûr, mais elle m'a choisi parce qu'elle adore manger italien et que ses parents l'avaient conçue lors d'un voyage à Venise, elle y voyait un signe. Tu te rends compte ?

L'audacieuse Sofia Capriaglini / Tome 6 / Présomption d'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant