24 - Au bord de la rivière

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- Tu te rappelles quand tu m'accompagnais à la pêche ? Me demande t-il en remplissant mon verre.

- Quand tu étais en quatrième année de droit ?

- Oui. Un jour tu m'as rejoint avec une robe blanche. Trop belle pour s'assoir sur l'herbe au bord d'une rivière.

- C'était au mois d'avril, je crois...

- Il faisait presque chaud ce jour là. Je peux te l'avouer maintenant. J'ai toujours eu du respect pour toi mais...

Inutile d'attendre qu'il ait terminé sa phrase, j'ai deviné que sa prétendue chasteté de cette époque était une façade bien fragile dont il aurait pu faire l'économie.

- Mais tu ne montrais rien, tu me repoussais doucement. Je faisais tout pour attirer ton attention. Je ne l'ai pas fait innocemment de m'allonger près de toi.

- Et t'aurais compris à ce moment là que ton grand frère que tu trouvais si parfait, ait un comportement déplacé? T'étais pas prête et moi non plus.

- Au contraire, j'en avais envie.

Il reste un moment interdit. Regrettant sans doute ce temps perdu.

- Méfiez-vous Monsieur, elle est très chaude, nous interrompt le serveur bien à propos en déposant l'assiette bouillante sur la table.

On ne peut s'empêcher de partir d'un discret rire complice. Cette fois, s'il nous observe un peu, il a compris qu'on n'était pas de simples collègues.

Son évocation champêtre me rappelle que par mégarde, j'avais fait tomber ma bague à travers les lattes du ponton d'où Kévin pêchait.

- C'est celle que ta mère t'a offerte ? M'a demandé Kévin tentant de scruter le fond sombre de la rivière. Je n'arriverai pas à l'attraper avec la canne, y'a trop de vase au fond. Y'a plus qu'une solution, aller la chercher à la main.

- Je vais y aller, c'est de ma faute. Je trempe les pieds, l'eau me saisit et refroidit toute initiative.

Comment s'immerger assez pour récupérer la bague au fond de l'eau ? J'en suis à cette réflexion quand Kévin retire son tee-shirt et son bermuda et descend du ponton sans hésitation. A peine une grimace au moment où l'eau le dévore jusqu'à la taille. Prise de scrupules du calvaire auquel ma maladresse le contraint, je décide de braver la température et le rejoindre. Debout sur le ponton, je retire ma robe. Il m'observe en contre-plongée, un moment fasciné puis il reprend son exploration. Je m'immerge à ses côtés en tentant de penser à quelque chose d'agréable, par exemple, pareille situation avec lui mais dans de l'eau plus chaude. C'est comme des aiguilles de couteau qui m'assaillent les chairs, je ne peux m'empêcher de trépigner.

- De remue pas trop la vase, ça trouble l'eau.

Il disparait sous la surface examinant à tâtons le lit de la rivière. Je me tiens à ses côtés, grelottante et inutile. Il remonte avec le précieux anneau. Frais, dégoulinant, ses yeux brillant d'une lueur triomphale à travers les mèches de cheveux qui s'écrasent sur son front. Il m'enfile fièrement la bague à l'annulaire, dans un geste symbolique. On remonte sur le ponton profitant du soleil printanier pour sécher un peu. Quand les derniers rayons disparaissent derrière la cime des peupliers, nous décidons de rentrer. J'enfile ma robe.

- Tu devrais retirer tes habits mouillés sinon tu vas prendre froid.

Je suis son conseil, il quitte lui aussi son boxer pour enfiler son bermuda à même la peau. Entre deux acrobaties pour extirper mon soutien-gorge de la manche de la robe, je l'observe à la dérobée. J'ai raté le meilleur moment. Il referme déjà sa braguette sur un bas ventre aux muscles dessinés, trop vite recouverts par son tee-shirt. La grâce est éphémère... En remontant le chemin avec seaux et cannes à la main, je frissonne. Il s'en rend compte et retire son sweat pour le déposer sur mes épaules avant que je n'ai le temps de protester.

On arrive enfin chez ma mère, accueillis par la douce chaleur de l'appartement.

- Tu veux rester dîner ? Ma mère passe la soirée chez des amis. Je suis toute seule.

Il examine ses prises. Pourquoi pas ?

Pendant qu'il évide les poissons sur une planche à découper près de l'évier, je l'observe couper les têtes et dégager les viscères d'un geste sûr. Il risque un regard vers son unique public et manque de s'entailler le doigt.

- Ta robe est mouillée et transparente, Sofia.

Je baisse les yeux. Il n'a pas tort. Et alors ? Il sait que j'ai des seins et des poils quand même !

- C'est pas grave, on est chez moi.

Je me hisse sur le plan de travail et continue de le regarder faire. Cette fois, ses mains tremblent.

- Quand je pense que tu as traversé ta cité dans cette tenue !

Je redescends de mon perchoir et vient me coller contre son dos, agrippant mes doigts dans les passant de sa ceinture.

- Tu vois le mal partout.

- Je t'assure, tu ne devrais pas tenter le diable. Il va t'arriver des histoires.

- Il ne m'arrivera rien tant que tu seras avec moi.

Il a encore les mains dans le poisson ce qui l'empêche de m'écarter. A mon avantage, j'ai les mains libres. Je me risque sous son tee-shirt et vient caresser sa peau. L'envie d'imprimer la marque de mes doigts dans son dos me presse.

- Arrête ma chérie.

- Quand tu le dis sur ce ton, ça sonne plus comme un encouragement.

Il se retourne enfin, les mains remontées, dégoulinantes du sang de ses prises.

- Arrête où je te souille, me menace t-il pour me faire cesser.

- Je crois que j'en ai envie.

Mon pouls s'est accéléré. Une violente décharge m'a frappé le bas du ventre. J'ai commencé à délicieusement me liquéfier. Ma réponse était dépourvue d'équivoque. Son regard si clair d'habitude a changé brusquement de couleur. C'était à présent, celle de la vase qui tapisse le fond incertain de la rivière. Il regardait la pointe de mes seins dressés insolemment vers lui à travers le tissu humide de la robe. Je me suis collée à lui, juste assez pour sentir qu'enfin il me désirait.

- Attention au manche, madame, me prévient le serveur extralucide en déposant sur notre étroite table, une plaque à griller. A croire qu'il a dissimulé un micro sous la table, celui-là.

L'audacieuse Sofia Capriaglini / Tome 6 / Présomption d'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant