16 - 40°C à l'ombre

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- Capriaglini... Voilà.

La secrétaire souriante me tend mon résultat de laboratoire. Je suis allée voir un médecin à qui j'ai parlé de mes doutes concernant une éventuelle grossesse. Le contenu de cette enveloppe inaugure soit le début de neuf mois d'angoisse, soit une partie remise car j'ai la conviction que Kévin ne renoncera pas.

Au fond de moi, j'ai la certitude que ce n'est pas le bon moment. Je sors tout juste d'une phase de dissociation où j'entretenais des rapports privilégiés avec un fantôme, je doute qu'affronter des mois à se demander de quelle maladie risque de souffrir mon enfant, ne soit conseillé.

Par manque de courage ou juste dans un réflexe de protection, je jette la lettre sans en prendre connaissance. Je dirai simplement à Kévin que le test était négatif, simulant juste assez la déception pour qu'il ne me demande pas de réessayer trop vite.

Ma mauvaise conscience est vite oubliée. Marine m'a invitée à la rejoindre dans un salon de thé. Officiellement pour me raconter son rendez-vous avec Benjamin, mais j'avoue qu'avec elle, en ce moment, je ne sais plus à quoi m'attendre. Pire, je ne suis pas plus au clair avec mes sentiments, le brouillard complet.

Le ciel est au contraire, de la partie, avec un soleil cuisant exhalant la chaleur du bitume. Elle m'attend à une terrasse heureusement ombragée. Elle se lève à mon approche, remonte ses lunettes de soleil pour me faire la bise. Le trottoir est passager, les tables minuscules, la terrasse complète, nous obligeant à nous serrer les uns aux autres. On se partage un tiramisu, parce qu'elle estime qu'un entier serait trop copieux. Fait exceptionnel, j'ai mis une robe, elle porte un short à pinces et un chemisier sans manche d'un blanc immaculé. Commet fait-elle pour être aussi élégante par quarante degrés ? J'ai l'impression de suer comme un bœuf et l'air chaud entretenu par cette foule compacte n'aide pas. Le passage d'un client qui sort du salon de thé, m'oblige à me rapprocher d'elle. Nos jambes se frôlent, je tente de dissimuler le trouble que me suscite ce contact. A travers ses lunettes, elle me sourit. Je me sens maladroite, empêtrée, prise de cours par cette situation à laquelle je ne m'habitue pas. J'ai passé la nuit à penser à elle, à chacun de mes réguliers réveils, à chaque assoupissement, son image me revenait.

- Tu ne devais pas déposer ton colis ? Me fait-elle remarquer en désignant la boite posée à mes pieds.

- Si, je réponds passive.

- La poste ne va pas tarder à fermer, prends tes affaires.

Elle scanne avec son smartphone le QR code d'une trottinette électrique qui attendait preneur le long d'un trottoir et m'invite à monter derrière elle.

- Tiens-toi à ma taille.

Le véhicule léger mais rapide se faufile habilement et remonte les rues. La vitesse apporte un déplacement d'air rafraichissant qui prend le dessus sur la chaleur ambiante de cette fin d'après-midi. Pour garder l'équilibre, je me serre contre elle. Ses cheveux, soulevés par le vent me caressent le visage. On évite de peu un piéton étourdit qui s'engage à reculons sur la chaussée pour photographier une façade. On arrive à temps à la poste riant encore de cette balade périlleuse. Entendre son rire cristallin est rare, je me laisse gagner par son insouciance qui me donne à imaginer l'enfant joyeuse qu'elle a pu être.

De retour dans sa rue, elle m'attrape la main et m'incite à courir jusqu'à son appartement. Nous enfilons la volée de marche en quelques enjambées. Il règne une chaleur étouffante dans son appartement aux fenêtre fermées et stores baissés.

- Alors, ton rendez-vous avec Benjamin ?

- Bien. Il est intéressant, cultivé, dit-elle distraitement en posant son sac dans l'entrée.

L'audacieuse Sofia Capriaglini / Tome 6 / Présomption d'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant