Chapitre 8.1 ~ D'un royaume à l'autre

89 15 101
                                    

*

– Vous devriez vous reposer, Altesse !

– Voyons, Isobel... Je me porte comme un charme et tu peux constater de toi-même !

Elle marqua une courte pause dans son envolée lyrique pour remettre correctement le lourd manteau de fourrures qu'elle portait.

– Je vous ai toujours aidé dans la gestion quotidienne du château, il n'y a pas de raison que cela change.

– Mais, dans votre état, vous devriez...

– Famille Sullivan ? appela-t-elle, imperturbable.

La brise matinale souffla dans la cour, faisant rouler les gravillons les plus légers. Cette petite musique commençait à devenir familière aux habitants de la demeure royale, elle annonçait l'arrivée prochaine des premières chutes de neige.

À la tête de la ribambelle de charrettes qui affluait aux abords du château, un homme d'âge mûr s'avança vers sa suzeraine. Suivant son pas respectueux, l'un de ses fils l'accompagnait. Leur âne tirait une carriole pleine de sacs ocres en tissu de lin. Ce fût le jeune homme qui présenta à la reine l'état de leur récolte sous l'œil avisé de son père.

– Notre famille apporte à son altesse tout juste dix sacs de bon grain.

– En proportion des terres qui vous ont été allouées par le roi, vous devriez en avoir douze, il me semble. Puis-je savoir ce qu'il est advenu des deux qui manquent à l'appel ?

– Que sa Majesté veuille bien nous excuser... La tempête du mois dernier a ravagé nos champs, et notre récolte n'a malheureusement pas été épargnée, commenta-t-il, en baissant la tête, ennuyé.

– Je note donc que vous m'avez remis neuf sacs, gardez le dixième pour vous. Cependant, vous nous devrez trois sacs de plus la saison prochaine !

– Votre majesté a une très belle âme ! Je vous remercie infiniment, bredouilla le vieil homme d'une voix tremblotante.

Avec les quelques forces que la vie ne lui avait pas encore pris, il s'inclina devant sa reine, et son fils l'imita.

– Relevez-vous, Monsieur Sullivan. C'est tout naturel, votre famille nous a toujours été fidèle !

– Le ciel vous le rendra, Majesté. Espérons qu'il vous donne la petite fille que vous souhaitez tant. Vous avez le cœur tendre et ma femme prie pour vous tous les jours.

En raison de son âge avancé, le vieillard avait des difficultés à s'exprimer. Il toussota un peu pour s'éclaircir la voix et reprit la parole :

– Ce sixième enfant que vous portez est un cadeau du ciel. Je suis sûr que Dieu entendra nos prières. Qu'il vous bénisse pour tout ce que vous faites pour nous !

– Votre attention me touche, Monsieur Sullivan. Vous saluerez votre épouse pour moi.

La sincérité se lisait sur le visage de la reine. Son cœur de mère pleurait encore la perte de trois de ses enfants. Seuls ses deux premiers fils avaient survécu et ils devenaient heureusement des jeunes hommes robustes et pleins de vie.

Mais une angoisse profonde rongeait inlassablement son âme maternelle, la peur viscérale de perdre à nouveau cet enfant qui grandissait en elle. Elle craignait de ne pas parvenir au bout de sa sixième grossesse. Et pourtant, elle le souhaitait du plus profond de son cœur. Elle priait pour que l'enfant survive à la naissance et surtout, pour qu'il grandisse à ses côtés. Pour calmer son anxiété, la reine s'en remettait aux puissances divines, par une prière fervente et régulière, seule source de consolation et d'apaisement.

L'ombre de nos âmes ~ tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant