Accident sur la glace

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Downtown Los Angeles, fin avril (un an après le scandale)

Anders a eu toutes les peines du monde à trouver un site diffusant la finale de la coupe d'Allemagne, et il prend le match avec quelques minutes de retard. Son ancienne équipe est en finale, et le jeune homme n'aurait manqué pour rien au monde la perspective d'une revanche, même indirecte, sur Munich, rivale maudite. Sung-ki s'est également montré très excité à l'idée de voir jouer l'équipe précédente de son compagnon, au sein de laquelle évoluent encore des amis du Suédois.

Anders constate que quelques-uns de ses coéquipiers ont disparu de la feuille de match, remplacés par d'autres noms qu'il connaît pour certains. Le hockey est un monde en vase clos, aux frontières réduites, presque cannibale. Il se nourrit de lui-même pour se renouveler, en une sorte de jeu des chaises musicales un brin pervers. Mais certains joueurs, piliers indéboulonnables, font encore partie du vestiaire des Ice Tigers, et Anders se réjouit de les revoir par écran interposé. Bastian, surtout, lui manque souvent, et même s'ils s'envoient régulièrement des messages, le Suédois ressent malgré tout le poids de la distance.

Le jeune homme ne quitte pas son ancien coéquipier des yeux. Il est tendu, assis tout au bord du canapé, les mains crispées sur ses genoux. Sung-ki, qui a à présent l'habitude des matchs de hockey sur glace, d'assister presque chaque fois à ceux que joue son compagnon, se fend de commentaires, d'exclamations sonores. Lui aussi encourage Cologne, et Bastian en particulier, puisqu'Anders lui a beaucoup parlé positivement de l'Allemand.

La fin du match approche, et les secondes s'égrènent, trop vite et trop lentement à la fois. Soudain, Bastian récupère un palet manqué par l'un de ses adversaires et part tout droit en direction du but. Comme mû par un réflexe, l'Allemand lève un peu sa crosse avant de décocher un tir net et précis, juste dans le coin supérieur du but adverse. Le buzzer retentit et s'allume de rouge, pendant que les supporters de Cologne bondissent dans les gradins. Il ne reste que deux secondes au compteur ; c'en est terminé des espoirs de Munich.

Mais Bastian n'a pas le temps de célébrer son but salvateur ou sa victoire. Un de ses adversaires, emporté par son élan, lui rentre dedans de plein fouet,. Déséquilibré, l'Allemand chute en arrière. Son casque quitte sa tête ; son crâne heurte brutalement la barre en métal qui retient le filet. À Los Angeles, Sung-ki crie.

C'est le chaos. Des nuées de joueurs apparaissent autour du corps inconscient de Bastian sur la glace. Les médecins se précipitent vers lui. Tout n'est que confusion, et Anders regarde son ami disparaître sur un brancard, dans les couloirs qui mènent au vestiaire de la patinoire.

Hébété, le Suédois a perdu la parole. Ses mains tremblent sur ses genoux ; Sung-ki a également crispé une des siennes sur la cuisse de son partenaire. Le seul réflexe d'Anders est de s'emparer de son téléphone et de tapoter l'écran à toute vitesse. Il ne prend pas le temps de relire les messages qu'il envoie à son ancien coach et son ancien gardien ; pour lui, seules les réponses comptent, à présent.

— Sung-ki !
Anders se tourne vers son compagnon.
— C'est terrible ! s'exclame le danseur. Il avait l'air... Tu crois qu'il va aller bien ?
— Je ne sais pas... Je ne sais pas... j'ai envoyé des messages à Coach Morris et à Mikhail, mais je ne sais pas quand ils vont me répondre. Quand on aura des nouvelles...

À l'écran, le match a repris son cours pour les deux dernières secondes, mais l'atmosphère paraît avoir changé, alourdie par l'accident de Bastian.

L'équipe de Cologne remporte la coupe d'Allemagne, mais lorsque les joueurs la soulèvent un certain temps plus tard, les regards sont crispés, les sourires figés. Le trophée est aussi lourd que le corps de Bastian sur la glace.

— Je vais aller voir sur Internet. Il y a peut-être des nouvelles. Les journalistes...
Anders joint le geste à la parole, mais ses sourcils se froncent au fur et à mesure qu'il parcourt les différents sites sportifs et les réseaux sociaux.
— Rien du tout. On sait juste qu'il a été transporté à l'hôpital, et rien de plus. Le Twitter du club a dit qu'il tiendrait les gens au courant...
Le Suédois se sent désemparé.
— Peut-être qu'un des gens à qui tu as envoyé des messages va te répondre avec des nouvelles ? Il va falloir attendre : tu ne peux rien faire de plus ! dit le Coréen en lui frottant le dos. Juste espérer !
— Oui... Le choc avait l'air brutal, mais peut-être que c'était juste dans le feu de l'action. Peut-être que ce n'est pas trop grave... Dans le hockey, ce n'est pas rare que des joueurs ressortent avec des concussions... J'espère juste que Coach ou Mikhail ne vont pas tarder...
— En attendant, tu veux faire quelque chose pour te changer les idées ? Une partie de jeu vidéo ?
— Je ne sais pas trop... Peut-être aller faire un tour avec toi ?
— O.K., s'exclame aussitôt Sung-ki en bondissant debout et en lui tirant la main pour qu'il se lève aussi. Mets une petite tenue à Sunny, et on est partis !

Soleil de MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant