Glace à la lavande

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— C'est bien la première fois que je mange une fleur, s'étonne Anders, une coupe ornée de deux boules odorantes posée devant lui.
Ils se sont installés à la terrasse d'un petit salon de thé, dans un charmant village pittoresque aux maisons de pierre et aux rues sinueuses. Sunshine est tranquillement allongé aux pieds de son maître et somnole, couché sur le côté.

— C'est délicieux, en tout cas !
Sung-ki croque dans la gaufrette qui accompagne sa crème glacée fleurie, qu'il a déjà goûtée et prise en photo pour son compte Instagram tout neuf.
— En rentrant à la villa, j'enverrai toutes les photos du jour et d'hier soir à tout le monde.
Tout le monde, cela signifie ses amis de 21st June.

Le danseur lèche un peu de glace avant d'embrayer sur une autre de ses idées.
— Est-ce que tu penses que tu pourrais m'avancer l'argent pour que j'achète un petit souvenir pour ta mère, pour la remercier de m'avoir accueilli ? On n'a pas encore commandé le livre de cuisine coréenne, finalement. Qu'est-ce que tu crois qu'elle aimerait bien qui est parfumé à la lavande ? Et ton père ? Dans la boutique juste à côté, j'ai vu qu'ils vendaient tout et n'importe quoi sous le signe de cette fleur. Et bien sûr, je te rembourserai ça avec mon premier salaire à l'école !

Anders ne cherche pas à contredire Sung-ki, à lui assurer qu'il n'a pas besoin de le payer, que lui-même lui donnera de l'argent avec plaisir ; son compagnon ne veut pas avoir l'impression de vivre à ses crochets, et le Suédois souhaite respecter son choix et ses envies.
— Pas de souci ! Et pour les cadeaux... Une belle bougie à la lavande fera très plaisir à ma mère. Peut-être aussi des sels pour le bain. Pour mon père... Il vaudrait peut-être mieux taper dans de l'alcool ou un bon produit du terroir, je pense. Tu vas acheter aussi un petit cadeau à Elian, Kyung-hwan et Woo-jae ?
— J'achèterai un cadeau à Elian quand j'aurai mon salaire ! Kyung-hwan, non, car le moindre won que je peux lui donner, qu'il veut bien accepter, je préfère le consacrer au remboursement de sa dette pour l'aider. J'essaierai de le persuadé pour qu'il veuille bien ; je vais économiser un peu pour ça. À côté de ma partie du loyer à Los Angeles et de ma part de nourriture, bien sûr ! Woo-jae, hmm...
Sa cuillère au coin de la bouche, le danseur réfléchit une dizaine de secondes.
— Je ne sais pas s'il en aura très envie, mais peut-être qu'il en a besoin quand même ? Je vais essayer de lui ramener quelque chose, oui. Surtout si on fait une escale à Miami en allant en Californie. Comme ça, je pourrai le lui donner rapidement ! Et pour ta mère, O.K. pour la bougie, mais il faudra que tu m'aides à choisir l'alcool ou le produit du terroir, parce que je n'y connais rien, et puis je ne connais pas non plus les goûts de ton père !
— Un petit assortiment de produits fera l'affaire. Comme ça, il fera son petit marché dedans. On peut passer par la boutique de souvenirs du village, ou faire ça un peu plus tard dans la semaine lors d'une autre visite.

Le danseur reprend une cuillerée de crème glacée, la savoure tout en regardant alentour. On dirait que tout le bourg est endormi, comme écrasé par l'été. Même le vent, ici, est moins fort qu'à Cassis ; on dirait presque qu'il n'aspire qu'à se reposer. Les bruits sont rares à part le chant des cigales et la tenancière du salon de thé qui va et vient à l'intérieur de son petit établissement.
— C'est tellement tranquille, remarque Sung-ki avec un sérieux qui donne l'impression d'une gravité inhabituelle. C'est tellement différent de ce à quoi je suis habitué. C'est quand je vois ça que je réalise que mon existence a pris un tournant à cent quatre-vingts degrés. C'est comme si ma vie s'était mise en pause, et je me demande presque chaque fois quand elle va repartir. Ça ne te fait pas ça ici ?
— Si, si, et je trouve ça reposant. Je ne sais pas pour toi, mais à force de vivre dans des grandes villes, j'ai toujours le sentiment que le temps ne s'arrête jamais, que tout est toujours en mouvement. Et ici, on peut s'installer, vivre à notre rythme... c'est vraiment agréable. Quand je pense qu'on rentre maintenant dans six jours...
Anders ne retient pas son soupir décontenancé alors qu'il passe la tranche de sa cuillère dans le reste de glace désormais liquide au fond de sa coupe.

Soleil de MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant