5.

3.1K 196 4
                                    

Mademoiselle Sauge regarde Marc et Dany s'éloigner, avant de se tourner vers l'une de ses collègues.

– Tu as perdu la tête ? Tu laisses ce pauvre môme avec son pire ennemi ?

– Il faudra bien qu'un jour il vole de ses propres ailes.

– Il y a d'autres façons de faire que de confier un agneau à un loup.

– Je ne peux pas contrôler sa vie. Ici nous donnons une chance à des gamins qui n'en ont jamais eu. Pourquoi ne pas laisser le bénéfice du doute à monsieur de Saint-Alban ?

– Parce qu'il ne changera jamais.

– Je veux croire qu'il a un bon fond.

– Tu sais ce que tu risques ? Dans dix minutes on va recevoir un appel de l'hôpital où Dany aura été envoyé après avoir été roué de coups.

– Je prendrai mes responsabilités.

– Tu vas te faire virer.


Les deux garçons entrent dans le McDonald et se placent devant l'écran de commande. Aujourd'hui il n'est plus nécessaire d'interagir avec des êtres humains.

– Alors, qu'est-ce que tu prends en général ?

– 280, frites, coca.

– Au moins là tu sais ce que tu veux. Bien, deux Maxi Best Of, pour avoir des verres. Va réserver la place, je finis la commande.

Dans cet environnement, Dany change complètement. Il se sent bien, en confiance, heureux, libre. Marc, lui, se dirige vers le comptoir même s'il a choisi l'option « service à table ».

– Bonjour, je viens de...

– Ce sera bientôt prêt.

– Non, je veux savoir quel verre vous avez en ce moment.

– Les gris.

L'employée semble très occupée, elle s'agite dans tous les sens. On se demande pourquoi, avec une telle énergie, les commandes mettent si longtemps à être prêtes...

– Mince, on a loupé les violets ?

– Si vous étiez venu hier...

– Et il y en a dans un autre McDo ?

– Je n'en sais rien.

« Et je m'en fiche », l'employée l'a pensé tellement fort que Marc a pu l'entendre. Il frappe du poing sur le comptoir.

– Bien, maintenant j'ai votre attention.

Il sort un billet de son portemonnaie.

– 100 euros, ça vous intéresse ?

– Qu'est-ce que vous faites ?

– Il y a un autre restaurant pas loin. Trouvez-moi cette saleté de verre violet et ce billet est à vous.

– Je ne suis pas votre esclave et de toute manière je ne peux pas quitter mon poste de travail.

Marc compte le nombre d'employés et pose autant de billets de 50 euros sur le comptoir.

– Vos collègues comprendront. Ramenez ce verre avant la fin de notre repas.

On pourrait croire que l'argent ne permet pas tout, mais seuls ceux qui n'en ont pas raisonnent ainsi. Pour un employé d'un tel restaurant, 50 ou 100 euros représentent une grosse somme. Pas pour Marc, de toute évidence, puisque son portefeuille en est plein.


Sûr de lui, Marc vient s'asseoir avec Dany. Il faut faire la conversation jusqu'à ce qu'on leur apporte les menus.

– Alors, à part le McDo, tu aimes quoi dans la vie ?

– Le sport.

– Cool, et tu fais quoi comme sport ?

– Musculation.

– Ah ouais, sympa. Tous les jours ?

– Oui.

– J'aime bien discuter avec toi, tes réponses sont très ouvertes. Tu aimes quoi d'autre ?

– Jeux.

– Si tu pouvais faire des phrases complètes ce serait mieux. Quoi comme jeu ?

– Xbox.

– De mieux en mieux, mec. Mais je n'en ai pas vu dans ta chambre.

– Confisquée.

– Waouh, c'est pire que la prison ton centre. T'as fait quoi pour mériter cette punition ?

– Pipi.

– Euh, quoi ?

– Dans le lit.

– Ah, super. Ta vie est passionnante.

On leur apporte les menus. Dany se jette dessus. Il prouve que le terme de « fast food » ne veut plus dire qu'on est servi rapidement mais qu'on avale cette nourriture à toute vitesse.


Marc l'observe. Il ne veut pas l'admettre mais il est touché par ce garçon qui a l'air si fragile.

– Calme-toi, on ne va pas de voler tes frites.

– Il manque le verre.

– Ta première phrase avec sujet, verbe, complètement. Tu vois quand tu veux ! Les verres arrivent, ne t'inquiète pas.

Marc essaie de gagner du temps. Il en faudra pas mal pour que l'employée revienne, fière d'elle.

– Voilà, deux verres violets !

– Merci.

Marc lui glisse discrètement les billets. Puis il se tourne vers Dany.

– Tu vas pas chialer quand même !

– Ils sont beaux.

– Et maintenant ta collection est complète. Tu peux même prendre le mien si tu veux.

Le visage de Dany s'illumine.


Lentement, ils reviennent vers le centre, Dany tenant fièrement ses verres.

– Allez, file dans ta chambre.

Mademoiselle Sauge observe la scène.

– Vous voyez, ça ne l'a pas tué. Il a eu ce qu'il voulait et, je dois bien l'admettre, nous avons passé un bon moment.

La tutrice ne sait même pas quoi répondre.

– Je suis humain, vous savez. C'est vous qui êtes cruelle, rendez-lui sa Xbox.

– La punition est maintenue, il faut imposer des règles.

– C'est débile, mais bon. Vous allez l'inscrire à Sainte-Clotilde ?

– Je ne suis pas encore convaincue.

– Faites-le pour lui.

Sans attendre de réponse, Marc s'en va.

Tu me manquaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant