13.

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Le dimanche soir, Marc doit raccompagner Dany au centre. La séparation est douloureuse pour les deux garçons. Une grande complicité s'est installée entre eux, naturellement, sans qu'ils ne sachent expliquer pourquoi. Et Marc est triste de devoir laisser son nouvel ami dans cette chambre, coupé du monde, traité comme un simple patient. Alors, quand il rentre chez lui il s'installe dans le salon pour parler à sa mère, déstabilisée, peu habituée à ce que son fils vienne discuter.

– Tu crois qu'on pourrait avoir Dany chez nous, je veux dire en permanence ?

– Mon chéri, je trouve très bien que tu deviennes ami avec ce garçon, mais tu sais qu'il est spécial, il a besoin de soins particuliers.

– Il n'est pas comme les autres patients du centre. Quand on apprend à le connaître il s'ouvre, il discute. Ça lui fait du bien d'être à l'extérieur, avec des gens... normaux !

– Tu lui parles seulement depuis quelques jours. Il ne faut pas se précipiter.

– Ce serait sympa de l'avoir ici, j'aurais l'impression d'avoir un frère.

Le fait d'être fils unique n'a jamais vraiment perturbé Marc. Pourtant, il aimerait quand même avoir un frère, il idéalise le genre de relation que l'on peut partager avec son frangin.

– Tu sais qu'on ne peut sans doute pas l'accueillir.

– Il faut essayer, peut-être qu'il y a une solution.

– Il faudra en parler à ton père.

Voilà l'arme fatale quand la mère de Marc ne veut pas dire non. Elle sait que son fils n'osera certainement pas affronter son père et que même s'il le fait, la réponse sera négative.


Ce matin, Marc arrive spécialement tôt au lycée. Il frappe à la porte du bureau de monsieur Kraft.

– Monsieur de Saint-Alban ! L'heure doit être grave pour que vous veniez me voir sans avoir été convoqué.

– On peut faire une trêve ? J'ai besoin de vous parler.

– Asseyez-vous.

Marc prend son courage à deux mains avant de commencer.

– J'ai passé le week-end avec Dany. J'ai découvert qu'il est très intelligent.

– Je le sais, jeune homme.

– Depuis quand ?

– Si nous l'avons accepté dans cette école c'est qu'au centre il montrait des capacités incroyables. Étrangement, chaque fois qu'il y a un contrôle, il échoue.

– C'est à cause du stress.

– Il est déjà suivi par un psychologue, mais rien ne fonctionne. Dès qu'il est entouré par d'autres personnes il perd ses moyens. Et nous ne pouvons pas lui octroyer un traitement de faveur. Un professeur avait émis l'idée de lui faire passer les tests dans une salle à part.

– C'est une bonne idée !

– Non, elle est très mauvaise. Ce n'est pas ainsi que nous préparons un élève à affronter la vie. Le jour du bac, il ne pourra pas avoir de traitement particulier.

– Il faut que je parle au psy.

– Je vais vous épargner cette peine. Il faudrait que Dany s'habitue à évoluer dans une foule sans être pris de panique. C'est un travail long et difficile, nous ne pourrons pas y arriver en quelques mois.

– Le défi que vous m'avez lancé est donc impossible.

– Je ne vous en tiendrai pas rigueur. Depuis quelques jours vous faites de grands efforts. Continuez ainsi, je serai satisfait.

– Pas moi !

Marc quitte le bureau.


Durant la journée il réfléchit à la situation. L'après-midi se termine par deux heures de sport. Dany n'a pas à y participer, il est considéré comme incapable de supporter les activités en groupe. Dans ce cas, il a le droit de retourner au centre plus tôt. À la fin de la journée, au lieu d'aller boire un café avec ses potes, Marc se rend à la salle de musculation. Il demande à quelques sportifs de s'approcher. Pour lui, ils acceptent de suspendre leurs activités.

– Bien, vous vous souvenez du mec avec qui je suis venu la dernière fois ?

Ils hochent la tête.

– Vous avez vu qu'il est un peu spécial. Je voudrais qu'il revienne. Mais il faut d'abord une mise au point : ne le regardez pas, ne lui parlez pas et surtout ne le touchez pas. Il faut qu'il s'habitue à la salle.

– Pourquoi tu t'occupes de lui ? On t'a condamné à des travaux d'intérêt général ?

– Non, il a un incroyable potentiel, il faut l'aider. Tout le monde a compris les règles ?

Il fallait que Marc soit rapide. Ces sportifs ont un planning à respecter et il ne faut pas que leurs muscles refroidissent.


Ensuite, il se rend au centre. L'heure du repas est stricte, il ne pourra pas voir Dany. Il en profite pour passer dans le bureau de mademoiselle Sauge.

– Pouvons-nous parler d'une hypothèse ?

– Allez-y, jeune homme.

– Hypothétiquement, est-ce qu'il serait possible que Dany vienne définitivement vivre chez moi ?

– Je savais que vous alliez encore me surprendre. Pour vous dire la vérité, c'est techniquement possible. Si quelqu'un d'autre veut devenir le tuteur de Dany, c'est légalement envisageable.

– On dirait que vous n'aimez pas cette idée.

– Ici il est dans un lieu sécurisant où des spécialistes s'occupent de lui.

– Pourtant ça lui ferait du bien d'être dans le vrai monde. Il progresse beaucoup depuis qu'il sort d'ici, non ?

– J'avoue, il semblait épanoui quand il est revenu de son week-end avec vous. Personne n'est jamais venu chercher l'un de nos résidents. La plupart ont passé toute leur vie ici. Il serait mieux qu'ils puissent vivre à l'extérieur, dans le vrai monde comme vous dites. Mais ce n'est pas si simple.

– C'est possible.

– Seul un juge peut prendre la décision d'attribuer un nouveau tuteur à Dany. Et selon votre hypothèse, la demande serait faite par vos parents. La décision est lourde et les demandes aboutissent rarement. Je vous rappelle que vous êtes toujours sous le coup d'une plainte, je pense que le dossier serait refusé avant même d'arriver entre les mains d'un juge.

– D'accord, il n'y a donc pas de solution.

Marc se lève et s'apprête à quitter le bureau.

– Marc, attendez !

Il se tourne vers la tutrice.

– Vous m'avez beaucoup impressionné ces derniers jours. Contrairement à ce que vous pensez certainement, ce que je veux est le bien-être de Dany.

– Continuez.

– Il est jeune, il a du potentiel. S'il reste enfermé ici il n'ira pas bien loin.

– Et donc ?

– Si vos parents donnent leur accord, je peux faire en sorte qu'il reste une semaine entière chez vous.

– Super !

– Calmez-vous, il y a une condition. Je viendrai chaque jour évaluer la situation et si je détecte le moindre problème, non seulement je le ramène ici, mais je demande un ordre d'éloignement pour que vous ne puissiez plus l'approcher.

– Je vous promets que tout ira bien !

– Il me faut l'autorisation de vos parents.

Tu me manquaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant