Tu me manquais

61.

Un long silence s'écoule. Dany est prostré sur le canapé, il regarde le sol. Marc fait tout pour ne pas croiser le regard de son père. Ce dernier a les yeux dans le vide, visiblement il réfléchit à ce qu'il va dire.

– Vous faites des choses depuis longtemps ?

– Quelques semaines, papa.

– Je comprends.

– Ah oui ?

Marc est évidemment surpris par cette réponse. Il s'attendait au mieux à une leçon de morale, au pire à des cris qui conduiraient à mettre Dany à la porte de l'appartement.

– Tu sais, fiston, j'ai passé ma scolarité en pensionnat. Dans une chambre avec sept autres garçons. C'est difficile quand on est adolescent et que l'on commence à avoir des envies.

Marc décide de se taire, de toute façon il ne saurait pas quoi dire. Ce n'est pas dans les habitudes de la famille que le père commence à se confier ouvertement.

– Alors forcément, il se passe des choses. On ne peut pas sans cesse se cacher dans les toilettes pour se masturber.

Pour Marc, le terme semble tellement sale dans la bouche de son père. Il ne peut pas l'imaginer en train de jouer avec son sexe et d'ailleurs il ne veut pas avoir cette image en tête.

– Ensuite, comme nous n'étions qu'entre garçons, nous avons fini par nous masturber dans la chambre, devant tout le monde.

Un scénario qui exciterait Marc s'il était devant un film pornographique. Mais là il s'agit de l'expérience de son père...

– Et puis forcément on finit par se toucher, s'aider mutuellement. C'est l'époque où on a encore peur des filles, où le sexe est quelque chose de mystérieux. Alors on s'entraîne, en quelque sorte, entre nous, avant de passer aux choses sérieuses.

Marc espère très fortement que son père ne va pas entrer dans les détails.

– Évidemment, je ne suis jamais allé aussi loin que ce que j'ai vu dans ta chambre. Ce n'est que pour vous entraîner que vous faites ça, n'est-ce pas ?

– Oui, papa.

A peine la réponse donnée, Marc a honte de ne pas pouvoir affronter son père et lui avouer que ce n'est pas purement physique, qu'il aime les hommes et un en particulier : Dany.

– Je n'apprécie pas ce que j'ai vu, mais je comprends. C'est plus difficile pour vous aujourd'hui, non seulement le sexe fait peur mais les femmes sont bien plus fortes, plus exigeantes.

Le père a l'air convaincu de ce qu'il dit, son fils le laisse faire. Finalement, ce n'est pas mentir que de le laisser croire ce qu'il veut.

– Ne faites pas ça trop longtemps, il faut que vous vous trouviez des filles.

– Oui papa.

– Et faites au moins l'effort de fermer la porte de la chambre à clé. Moi je peux comprendre, ta mère aura plus de mal si elle voit ce genre de comportement.

– Tu ne vas pas lui dire ?

– Non, il faut que jeunesse se passe et je sais ce que sont les besoins quand on est adolescent.

– Merci.

Marc ne sait pas quoi dire d'autre. Jamais il n'aurait imaginé que son père réagisse de cette manière. Il ne comprend même pas ce qui vient de se passer.

Les deux garçons se lèvent et retournent dans leur chambre.

– Pourquoi tu ne lui as pas dit la vérité ?

– Pour te protéger, Dany.

– Vraiment ?

– Si je m'étais lancé dans la véritable explication, je pense que mon père n'aurait pas été aussi cool. Là il croit qu'on expérimente des trucs avant de faire l'amour avec une fille et apparemment ça le satisfait. Je n'allais pas lui balancer que je suis gay et amoureux de toi.

– Toujours se cacher.

– On aurait pris le risque qu'il te mette à la porte. Tu sais bien que ta présence ici est un arrangement non officiel, mes parents peuvent te virer à n'importe quel moment.

– On doit donc encore faire semblant.

– Bah oui. Je sais que tu n'apprécies pas, mais si on peut éviter de déclencher une guerre avec mes parents, alors c'est mieux. Tu es d'accord avec ça ?

– J'ai pas trop le choix.

– Il faut tenir encore un peu, jusqu'à la fin de l'année scolaire.

– Il se passe quoi ensuite ?

– On prend notre indépendance. C'est prévu depuis longtemps que, pour mes études supérieures, j'habite un appartement à moi, plus chez mes parents. Pour mon père ça aide à devenir adulte et moi ça m'arrange comme idée.

– Je deviens quoi, moi ?

– Officiellement, mon colocataire. On aura notre petit chez nous et tout sera plus simple.

– Tu pourras alors avouer à tes parents que tu es gay et qu'on sort ensemble.

– Chaque chose en son temps.

– Ce qui veut dire que tu ne le feras pas.

– C'est...

– Compliqué, oui je sais. Bon, on ne devait pas bosser nos CV ?

– Tu es sûr que ça va ?

– Oui, oui, passons à autre chose.

– Je ne veux pas que tu te sentes exclu.

– J'ai dit ça va !

Les deux garçons s'installent devant l'ordinateur. Ils doivent effectivement rédiger leur curriculum vitae et des lettres de motivation. Ils veulent trouver des jobs pour l'été et son déjà un peu en retard pour postuler.