Je glisse sous les pâles projecteurs de la nuit, marquée d'un clair de lune. Comme l'obscurité de mon cœur a été marquée par la peur et la haine que j'ai semé dans mon sillage. Dans mes pas titubants et gauches, j'esquisse pourtant l'avènement d'un nouveau jour. Je porte dans le creux de mes poings fébriles une lueur que je sais désormais inextinguible : l'espoir.
On pourra l'étouffer, on pourra l'envenimer autant qu'on le voudra, il subsistera toujours cet éclat de lumière dans l'infini du désespoir. Le serpent peut siffler autant que cela lui plaira, on ne peut pas faire fi du brasier ardent de la volonté.
Mes pas bruissent sur les toiles humides des toits, mon regard embrasse chaque lumière qui scintille dans cette masse endormie, blessée, effrayée. Nul ne pourra purger ma peine. C'est moi qui ai plongé cette ville dans l'insécurité. Et je peux assurer avec certitude que je reconstruirais les remparts autour des vies, que j'érigerais un fort pour protéger ces habitants de mes erreurs. Mais pour l'heure, je me dois d'acquérir toute l'aide dont j'ai besoin pour y parvenir.
Malgré cette frêle flamme qui bourdonne dans le creux de mon ventre, la peur hache mon souffle, qui s'évapore par saccade dans la froidure de l'obscurité. Dans l'air glacé de la solitude. Je me redresse, empoignant avec véhémence le peu de courage qu'il me reste, et dévale une façade, agrippée à la gouttière qui plonge dans l'obscurité d'une ruelle.
Je manque de justesse de m'étaler de tout mon long sur l'asphalte qui émane d'une désagréable odeur de pétrichor. Lorsque je me redresse enfin, le souffle court, j'ai mal à la mâchoire tant je l'ai serrée pour contenir la douleur qui me déchire les jambes. Je plisse les paupières et lève les yeux au ciel, afin de chasser ces quelques larmes de mon regard à l'affût de la moindre ombre suspecte.
C'est avec soulagement que je constate que je ne suis plus très loin de chez Alya. Je me poste au-dessous de sa fenêtre, effectuant quelques mouvements de tête, afin de chasser les coups de mon cœur dans mon crâne. Je pourrais presque l'entendre se déchirer à chaque battement, tant ils sont violents et douloureux. Mais avant qu'il ne cède sous la peur asphyxiante, je me propulse dans un grognement rauque, et empoigne la rambarde de la fenêtre dans un gémissement.
Avant même que je ne pose un genou contre la vitre, Alya l'ouvre. L'obscurité exubérante s'insinue dans ses traits, creuse sa mine émaciée, rongée par l'anxiété.— J'ai pas été assez clair, je crois, lance-t-elle d'un ton acide.
Je hisse le bas de mon corps sur le rebord de la fenêtre, sans lâcher la rambarde, par prudence. Quelques centimètres me séparent d'elle. Notre proximité est telle que je peux sentir son souffle fébrile sur le bout de mon nez. Mais son regard perçant semble creuser un vide entre nous deux, sa mine dure et sévère donne l'illusion d'une présence lointaine. Elle est là, mais sa volonté de ne pas vouloir l'être la rend plus distante qu'elle ne l'est véritablement.
— Il faut que tu m'écoutes. Les...
— Non, me coupe-t-elle froidement. Je t'ai bien assez écouté comme ça. Maintenant, c'est à toi de m'écouter. Tu vas rentrer chez toi, et...
Il enfle dans le silence telle l'onde d'une explosion. Ce hurlement, qui fige le sang dans mes veines, qui refroidit chaque parcelle de mon corps frémissant, qui redresse chacun de mes poils, met en alerte chacun de mes sens. Il souffle sur cette braise ardente qui bourdonnait avec véhémence dans les murmures d'Alya. La colère et le chagrin qui avait été taillée dans ses traits se dissipent sous une lueur d'effroi qui naît dans le coin de son regard hagard.
Plus aucune volute chargée d'air ne se détache de nos lèvres, entrouvertes sur des mots qui demandent plus de courage que je n'en ai pour être prononcés. Pourtant, ce sont les seuls qui m'assaillent l'esprit, qui résonnent aussi violemment que cette alarme assourdissante : ils sont là.
Une larme s'échappe, sans que je n'éprouve le besoin de la sécher. À quoi bon ? D'autres la remplaceront aussitôt. Et elle roule, roule comme l'écho de ce cri strident, chargé d'appréhension et de terreur. Le cri des mutants, lourd de sang et de douleur, qui vole à la lune toute la lumière morbide qu'elle versait sur la ville, pour la plonger dans un chaos de ténèbres. Là où flotte une odeur putréfaction. Là où l'espoir est mort.
J'empoigne la main d'Alya, sans pouvoir faire face à tous ces sentiments qui traversent présentement ses yeux que je n'ai pas vu briller depuis trop longtemps. Mais j'ai besoin de cette lueur d'espoir. J'ai besoin d'autant de lueurs que possible. Nous devrons la puiser au fond de nous, faire fi de la peur qui l'entrave. Nous ne pouvons pas laisser cette odeur s'insinuer dans nos entrailles. Ni s'ancrer dans les ruelles de Paris. Au risque qu'une nouvelle vague n'emporte ce frêle château de sable inachevé, qu'une tempête ne détache les derniers pétales d'une fleur pas encore éclose.
— Par pitié, Alya, je t'en conjure, pardonne-moi. Mais il faut que tu m'écoutes, une dernière fois.
Elle s'arrache à mon étreinte avec une violence que je ne lui connais pas. Je fais volte-face, découvrant son regard empli de larmes, sa mâchoire crispée. Avant que je ne puisse ajouter quoi que ce soit, elle verrouille la fenêtre et laisse l'obscurité de son appartement l'avaler tandis qu'elle s'éloigne.Comme on retient son souffle pour plonger la tête sous l'eau, je bloque l'air dans mes poumons violentés par les puissants battements de mon cœur, qui pulse jusque dans mes pensées confuses. Et je plonge dans l'obscurité incertaine de la nuit. Je n'ai pas mon yo-yo, ni même la certitude que l'espoir suffira à recouvrer mon équipe. À la préparer à faire face à ce qui se prépare. Mes jambes sont de plomb, luttant pour m'éviter de me découvrir. Mon esprit boue, creuse désespérément à la recherche de solutions. Mon cœur souffre, pousse de longs cris d'agonie dans le creux de ma poitrine exiguë. Chacune de mes plaies me font souffrir le martyre. Pourtant, pourtant, j'avance dans la nuit, le bruit de mes pas déchirés par l'alarme.
Le bruit de mes larmes séché par cette arme. Corpulente, colossale, répugnante, assoiffée de douleur et de sang. Un monstre à qui l'humanité a été volé. Un monstre que je ne peux me résoudre à tuer. Je constate dans une sueur froide que je me suis figée à quelques rues de la créature. Toujours l'air bloqué dans mes poumons, toujours la peur qui perle sur mes joues, toujours le sang qui rougit mes blessures. Je peux encore percevoir le contact froid et douloureux de sa main avec mon corps minuscule. Sentir chacun de mes muscles se déchirer et mes os se briser sous l'impact. Je peux sentir le froid qu'il a laissé dans mes entrailles, là où autrefois crépitait une flamme.
Dans le silence assourdissant qui règne désormais, j'ai l'impression qu'on empoigne mon cœur et qu'on le presse jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une membrane fibreuse et effilée. Je ne peux pas faire un pas de plus. C'est comme si j'étais à présent fait de pierre. Ce mutant pustuleux, à l'allure bourrue, me rappelle, à chaque tremblement qu'il soulève dans ses pas lourds et lents, le goût âcre de la poussière sur ma langue, puis celle de fer. La brique contre mon crâne, l'impuissance sur ma chaire déchiquetée.
Que pourrais-je faire ? Je n'ai absolument rien.
Mais lui a tout.
Et il fend la lumière des réverbères de son ombre féline, glisse dans le silence comme un souffle silencieux. Il surgit dans la nuit comme une étoile filante traverserait l'obscurité. Il porte l'espoir. C'est en nous que nous devons le trouver. C'est en lui que nous devons le mettre.
C'est à lui d'achever le château de sable, pour ne plus jamais laisser entrer l'écume des vagues déchaînées. C'est le soleil qui noiera la fleur d'une lumière si étincelante qu'enfin elle trouvera la force d'éclore.
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Black - A Miraculous FanFiction [Réécriture]
Fanfiction/!\ risques de spoils /!\ Marinette Dupain-Cheng a seulement treize ans lorsqu'elle découvre Tikki, qui la fera devenir Ladybug, l'héroïne tant appréciée de Paris. Voilà que quatre ans sont passés depuis cette rencontre qui a donné un nouveau tourna...